
La réforme fiscale américaine est préjudiciable aux citoyens américains basés à l’étranger
1re partie : la taxe transitoire
Du point de vue fiscal, la période de juillet 2017 à février 2018 s’est révélée l’une des plus tumultueuses de l’histoire récente pour les propriétaires de sociétés privées canadiennes. Pour ceux qui ont aussi le privilège d’être des citoyens américains ou des résidents étrangers, la situation est devenue carrément absurde. Dans leur hâte d’adopter la réforme fiscale la plus radicale depuis plus d’une génération, les législateurs américains ont imposé aux citoyens américains résidant au Canada une double imposition rétroactive, l’élimination d’une grande partie des possibilités de report d’impôt offertes dans leurs entreprises, le délai de paiement imminent du 17 avril et pratiquement aucune règle ou réglementation pouvant les guider à travers ce chaos.
La première partie de cet article examinera le premier des deux changements controversés contenus dans la réforme fiscale américaine, notamment la taxe transitoire (transition tax) et offrira quelques conseils sur la manière d’en atténuer l’impact.
Article 965 du Code des impôts (IRC 965) — taxe transitoire (transition tax) ou taxe de rapatriement (repatriation tax)
Nous avons tous entendu le président Trump promettre de « Make America Great Again » (« Rendre sa grandeur à l’Amérique »), en incitant notamment les grandes multinationales à ramener aux États-Unis les billions de dollars investis ailleurs. Eh bien, l’IRC 965 cherche exactement à faire cela. L’idée est de faire passer le régime fiscal international américain du modèle archaïque basé sur le « report d’imposition » (qui fait notamment payer des impôts [américains] aux sociétés américaines pour les revenus rapatriés par leurs filiales basées à l’étranger) à un régime basé sur l’« exemption » (qui permet aux filiales américaines basées à l’étranger de payer des impôts dans leur pays d’origine et de rapatrier des bénéfices libres d’impôts [américains] à leurs sociétés mères aux États-Unis). L’idée semble logique et permettra aux États-Unis d’être sur la même longueur d’onde que la majorité des autres pays.
Pour permettre le transfert des bénéfices de société existants vers le nouveau système, la loi prévoit une « taxe transitoire » à occurrence unique sur les revenus de société étrangers non répartis toujours présents à la mise en œuvre de la nouvelle législation. Cette taxe est imposée à un taux réduit et peut être payée sur une période de huit ans afin de permettre au contribuable de mieux en supporter le fardeau. Même si ces changements peuvent sembler logiques pour les multinationales américaines, leur application aux contribuables individuels résidant à l’étranger fait beaucoup moins de sens. Oui, les citoyens américains et les résidents étrangers vivant à l’étranger sont également tenus de payer la taxe transitoire, même s’ils ne sont aucunement avantagés par le nouveau régime d’exemption. Pour les contribuables américains qui possèdent des entreprises au Canada, elle conduit non seulement à une situation de double imposition, mais aussi à une situation de double imposition rétroactive !
Comment ça marche
La taxe transitoire s’applique aux actionnaires américains des sociétés à revenu étranger reporté (deferred foreign income corporations), généralement des corporations étrangères contrôlées, qui ont généré des revenus et des profits (earnings and profits [E&P]) après 1986. Un actionnaire américain est défini comme un Américain qui détient 10 % ou plus des voix d’une société étrangère.
À certaines exceptions près, les revenus et profits accumulés après 1986 (essentiellement des bénéfices non distribués) sont inclus au prorata dans le revenu de 2017 de l’actionnaire américain de la même manière que des revenus de placement auraient été généralement attribués à l’actionnaire (c.-à-d., sous le régime de sous-partie F [Subpart F regime] existant). Pour empêcher les contribuables de manipuler le solde de leurs revenus et profits, c’est le solde le plus élevé de mesures précises qui est pris en considération, en l’occurrence, celles effectuées le 2 novembre 2017 (date d’entrée en vigueur de la loi) et le 31 décembre 2017. D’autre part, les dividendes versés en 2017 sont rajoutés aux revenus et profits pour empêcher les contribuables de les dépouiller à des fins d’évitement (d’impôt). La loi prévoit cependant quelques exceptions, parmi lesquels : les revenus et profits obtenus avant 1987 et les revenus et profits accumulés lorsque l’entité n’était pas encore une corporation étrangère contrôlée, etc.
Les revenus inclus sont assujettis à un taux d’imposition maximal de 17,5 % (une réduction de 56 % par rapport au taux d’imposition des particuliers le plus élevé [39,6 %]) pour les revenus et profits attribuables aux actifs en espèces ou en quasi-espèces ou de 9,05 % (une réduction de 77 % par rapport au taux d’imposition individuel le plus élevé) pour les revenus et profits attribuables aux actifs non monétaires. La définition des termes « espèces » et « quasi-espèces » est assez large et inclut des éléments tels que les comptes débiteurs et les engagements à court terme. Les contribuables peuvent choisir de reporter le paiement de la taxe sur une période de huit ans (8 % du montant exigible de la première année jusqu’à la cinquième année et 15 %, 20 % et 25 % pour la sixième, septième et huitième année respectivement). Aucun intérêt ne sera prélevé si le contribuable choisit cette option. Le premier paiement doit être fait le 17 avril 2018 (aucune prolongation permise), ce qui laisse très peu de temps aux contribuables et à leurs conseillers pour se préparer. L’I.R.S. (Internal Revenue Service) n’a pas encore fourni toutes les indications requises ni publié les formulaires nécessaires au moment de la rédaction de cet article.
Que dois-je faire ?
Si vous croyez que la taxe transitoire s’applique à vous, vous devriez immédiatement consulter votre conseiller en matière de fiscalité transfrontalière. Cette taxe est réelle, punitive et exigible dans un peu plus d’un mois. Voici quelques solutions pour réduire son impact en fonction de votre situation personnelle :
- Crédits pour impôt étranger (CIE) : Malheureusement, l’une de nos meilleures armes dans la lutte contre la double imposition est les taux d’imposition canadiens, qui sont extrêmement élevés. À cette fin, de nombreux contribuables américains résidant au Canada ont accumulé un grand nombre de crédits pour impôt étranger reportables dans le panier des restrictions générales (général limitation basket), l’endroit où va généralement l’impôt sur le revenu payé sur les revenus d’activité. Étant donné que le revenu inclus en vertu de l’IRC 965 sera vraisemblablement considéré comme un revenu à restrictions générales (GL income), tout CIE à restrictions générales reporté peut être utilisé pour réduire l’incidence de la taxe transitoire à raison d’un dollar pour chaque dollar. Les contribuables peuvent également utiliser les CIE à restrictions générales excédentaires de 2017 pour diminuer la charge de cette taxe. Enfin, les CIE excédentaires de 2018 peuvent être reportés rétrospectivement d’un an pour contrebalancer la taxe due pour 2017.
- Bonis : Les bonis ont un impact double quant à la minimisation de l’incidence de la taxe transitoire. Premièrement, ils permettent d’abaisser la base de calcul de cet impôt (c’est-à-dire les revenus et profits). Deuxièmement, étant donné que les taux d’imposition canadiens sont généralement plus élevés que les taux d’imposition américains, les bonis créent généralement des CIE à restrictions générales (GL FTCs) excédentaires qui peuvent être utilisés pour contrebalancer encore plus la taxe transitoire. En supposant qu’une corporation étrangère contrôlée puisse utiliser le boni pour réduire l’impôt sur le revenu des sociétés dû et en supposant que l’actionnaire aura personnellement besoin de ces fonds dans un délai raisonnable, le versement d’un boni peut s’avérer une stratégie très efficace.
- Versement de dividendes : Le versement de dividendes en 2017 entraînera l’application d’impôts canadiens pouvant être utilisés pour contrebalancer la taxe transitoire. Il sera cependant primordial de savoir si un CIE complet pourra être utilisé à l’encontre de l’impôt canadien payé ou si le CIE sera réduit afin de créer plus de parité avec le revenu réduit inclus mentionné ci-dessus. Cette question a fait couler beaucoup d’encre et ne pourra être résolue qu’avec l’aide éclairée de l’I.R.S.
- Choix en vertu de l’article 962 : Le choix en vertu de l’article 962 du Code des impôts (IRC 962), qui est rarement utilisé, attire beaucoup d’attention dans le contexte de la taxe transitoire. Grâce à cette option, les particuliers peuvent choisir d’être imposés comme des sociétés et de profiter des taux d’imposition des sociétés généralement plus bas appliqués en vertu de la taxe transitoire. Cependant, l’avantage le plus important de ce choix demeure la possibilité d’obtenir des CIE sur l’impôt des sociétés payé par la corporation étrangère contrôlée depuis 1986. Même si les CIE sont réduites (tel que mentionné ci-dessus), cette option peut toujours réduire l’incidence de la taxe transitoire de 30 à 50 %, selon la situation du client. Plus l’impôt sur les sociétés historique payé est élevé, plus les CIE disponibles seront élevées.
- Optimisation des déductions et crédits canadiens : En choisissant de ne pas déduire ou de ne pas utiliser en 2017 les crédits offerts par certaines options fiscales offertes au Canada (par exemple, les REER, les dons de bienfaisance, etc.) et d’en reporter l’utilisation pour les années à venir, le contribuable fera augmenter sa facture fiscale canadienne, majorant ainsi les CIE pouvant être utilisés pour contrebalancer la taxe transitoire.
- Modification des déclarations fiscales déposés antérieurement pour l’impôt américain : Les personnes qui ont demandé l’exclusion de revenus gagnés à l’étranger (en vertu de l’article 911) peuvent envisager de modifier leurs déclarations antérieures afin de révoquer ce choix — une démarche qui pourrait faire accroître leurs CIE à restrictions générales reportés (GL FTC carryovers), qui sont souvent réduits lorsqu’une demande d’exclusion en vertu de l’article 911 est effectuée.
- Réexamen de la classification des entités : Étant donné que la société doit généralement être une corporation étrangère contrôlée (CEC) pour que la taxe transitoire soit applicable, les contribuables doivent s’assurer que leur société est bien une CEC et qu’ils peuvent véritablement être considérés comme des actionnaires américains. Il faut cependant faire attention : les sociétés étrangères qui ne sont pas des CEC pourraient en fait être des sociétés de placement étrangères passives (passive foreign investment companies [PFICs]). Ces sociétés ne sont généralement pas l’idéal, même si elles sont exonérées de l’impôt transitoire.
Payer des impôts en double n’est jamais la meilleure des choses. Les propriétaires d’entreprise sont cependant des gens pragmatiques et c’est parfois le flux de trésorerie qui dicte la stratégie fiscale du contribuable. L’impôt sur les salaires et les bonis est très élevé au Canada (48 à 54 %), alors que le paiement de la taxe transitoire pour la première année est très faible (8 % de l’impôt de la taxe de 17,5 %, ou 1,4 %). De nombreux propriétaires d’entreprise choisiront de se « pincer le nez » et de signer un chèque plutôt que de faire face à des impôts canadiens conséquents.
Il y a un dicton qui dit qu’il ne faut jamais laisser l’impôt mener à lui seul le bal, mais ce sont des situations comme celle-ci qui poussent les citoyens à double nationalité à renoncer à leur citoyenneté américaine. Plusieurs songeront à cette option après avoir été soumis à la taxe transitoire. Ironie cruelle, la taxe transitoire exigible pourrait cependant empêcher certaines personnes d’y songer en raison de l’« examen fiscal » (tax test) faisant partie des règles d’expatriation américaines (article 877A du Code des impôts [IRC 877A]) décrites ici (NTD : insert reference/ link to our 877A article).
La planification fiscale transfrontalière a toujours été complexe et son niveau de complexité a considérablement augmenté avec la réforme fiscale américaine. Alors que la taxe transitoire est un phénomène à occurrence unique, nous examinerons dans la deuxième partie de cet article, la taxe sur le revenu global incorporel à faible taux d’imposition (Global intangible low-taxed income [GILTI]), une nouvelle loi fiscale punitive qui transformera profondément la planification fiscale pour la plupart des propriétaires américains de CEC à partir du 1er janvier 2018.