
Le régime de l’impôt sur le revenu fractionné (IRF) a eu une incidence considérable sur les stratégies de planification fiscale des entreprises gérées par leurs propriétaires (voir nos alertes fiscales précédentes pour plus de renseignements sur ces nouvelles règles.) Même si la planification « entre vifs » a principalement été visée jusqu’ici, les stratégies employées pour la planification d’héritage ont également été touchées. Dorénavant, les stratégies de planification d’héritage doivent également tenir compte de l’application de l’IRF, car ses règles contiennent des exceptions précises pour les biens reçus en héritage.
Les revenus versés aux personnes âgées de moins de 25 ans ne sont pas assujettis à l’IRF s’ils sont hérités d’un parent. De façon similaire, si le bien est hérité d’une personne autre qu’un parent, l’IRF ne sera pas appliqué si le bénéficiaire est âgé de moins de 25 ans et est inscrit à temps plein dans un établissement d’enseignement postsecondaire.
Les règles de l’IRF contiennent également des dispositions « de continuité » qui permettent aux bénéficiaires d’hériter des cotisations du défunt avant de déterminer si l’IRF est applicable. Voici ces dispositions :
- L’exception du « rendement raisonnable » : les facteurs qui étaient pertinents pour le défunt le seront également pour le bénéficiaire (c.-à-d. le travail effectué par le défunt, les biens contribués par le défunt et les risques assumés par celui-ci).
- L’exception de « l’entreprise exclue » : dans les cas où le défunt a participé de façon régulière, continue et importante aux activités d’une entreprise au cours des cinq dernières années d’imposition, le bénéficiaire est lui aussi réputé y avoir participé de façon régulière, continue et importante.
- L’exception des actions exclues (qui exige que l’actionnaire ait déjà atteint l’âge de 24 ans) : le bénéficiaire est réputé d’avoir atteint l’âge de 25 ans si le défunt était âgé d’au moins 25 ans au moment du décès.
Ces dispositions de continuité, dans le cas également de biens hérités par une personne de moins de 25 ans, sont applicables seulement si les biens ont été hérités à la suite du décès d’une autre personne. Des problèmes surviennent en conséquence lorsque des actions sont héritées par le biais d’une fiducie à rente viagère (life intérêts trust), comme une fiducie de conjoint ou une fiducie en faveur de soi-même et qu’on doit déterminer si les distributions versées par la fiducie à rente viagère aux bénéficiaires doivent être considérées comme des distributions reçues par suite de décès. Prenons l’exemple d’un parent décédé qui lègue des actions d’entreprise privée à un conjoint survivant par le biais d’une fiducie de conjoint testamentaire (testamentaire spousal trust). Si les modalités de la fiducie de conjoint ne requièrent pas explicitement la distribution des actions au moment du décès du conjoint survivant, celles-ci pourraient ne pas être considérées comme des actions reçues par suite de décès lorsqu’elles seront distribuées aux bénéficiaires. Dans de tels cas, les bénéficiaires ne pourront tirer profit des dispositions de continuité susmentionnées et éviter l’application de l’IRF.
Les règles de continuité posent également des problèmes dans le cas de certaines stratégies de planification d’héritage. Si la personne décédée détenait des actions d’entreprise privée, la planification serait normalement effectuée après le décès afin de minimiser le risque d’une double imposition. L’imposition double peut survenir si le défunt est imposé sur le gain en capital réputé et si la succession ou les bénéficiaires sont imposés lorsque les fonds sont retirés de l’entreprise. Afin de minimiser ce risque, deux stratégies de planification d’héritage populaires peuvent être utilisées par les conseillers et les exécuteurs testamentaires.
La première stratégie, appelée « stratégie de report rétrospectif d’une perte », nécessite que les actions détenues par une succession assujettie à une imposition à taux progressifs (SAIP) soient rachetées, ou que la société soit liquidée dans un délai d’un an après le décès du défunt. Le rachat ou la liquidation donne lieu à un dividende pour la SAIP et à une perte en capital qui peut être reportée rétrospectivement à la dernière déclaration de revenus du défunt et compensée par le gain en capital.
La deuxième stratégie, appelée « stratégie du pipeline », fait en sorte que la succession crée une nouvelle entreprise. La succession vend ensuite les actions auparavant détenues par le défunt à la nouvelle entreprise en échange d’un billet à ordre. Étant donné que les actions ont un prix de base rajusté égal à leur juste valeur marchande, leur vente n’aura pas de retombées fiscales supplémentaires. Éventuellement, la nouvelle entreprise et l’entreprise existante seront fusionnées. Le défunt déclarera le gain en capital et payera l’impôt dû pour celui-ci. La succession détiendra quant à elle les actions de l’entreprise fusionnée, dont la valeur sera représentée par un billet à ordre libre d’impôt provenant de l’entreprise fusionnée (sous réserve du paragraphe 84 [2] de la Loi de l’impôt sur le revenu).
Bien que ces deux stratégies soient utiles pour éliminer les deux couches d’impôt pouvant être créées, il faudra également tenir compte de l’incidence de l’IRF dans la quête de la meilleure stratégie possible. Les actions ordinaires d’une entreprise privée sont souvent détenues par l’entremise d’une fiducie familiale discrétionnaire où l’actionnaire fondateur détient une catégorie d’actions particulière à valeur fixe. Si l’exécuteur testamentaire choisit d’utiliser la stratégie de report rétrospectif d’une perte et rachète en conséquence ces actions spéciales, celles-ci disparaîtront au moment du rachat et ne seront plus disponibles aux bénéficiaires. Les bénéficiaires continueront à tirer profit des actions ordinaires détenues par l’entremise de la fiducie familiale, mais ces actions ne seront pas considérées comme des biens hérités par suite de décès. Par conséquent, les dividendes versés sur les actions ordinaires de la fiducie familiale ne pourront dans le futur bénéficier des exceptions de continuité. Ces dividendes pourraient être assujettis à l’IRF si les bénéficiaires ne sont pas admissibles à l’une des exceptions susmentionnées.
La stratégie du pipeline donne lieu à un problème semblable, même si l’application des règles de continuité est moins évidente dans son cas. Par suite de la stratégie du pipeline, la succession détient des actions nouvellement émises d’une nouvelle société et les actions détenues précédemment par le défunt disparaissent éventuellement au moment de la fusion. Il reste cependant à savoir si les actions qui sont transférées de la nouvelle entreprise au bénéficiaire seront considérées comme des biens hérités par suite de décès et si les règles de continuité s’appliqueront aux actions jamais détenues par le défunt. De la manière dont la législation a été formulée, il semblerait que les règles de continuité ne s’appliqueront pas.
Si les règles de continuité ne s’appliquent pas, il faudra envisager de conserver les actions de la SAIP du défunt pendant les 36 mois qui suivent le décès. Les dividendes reçus par la SAIP ne sont pas assujettis à l’IRF et sont imposés à des taux d’imposition progressifs, car ces règles ne s’appliquent pas aux fiducies.
L’IRF devrait, à ses débuts et au minimum, donner le temps aux exécuteurs testamentaires et aux conseillers de déterminer la bonne stratégie, car les bénéficiaires pourraient être admissibles à l’une des exceptions. Mais si ce n’est pas le cas, il sera essentiel de tenir compte de l’incidence de l’IRF afin de minimiser les risques de double imposition et de tirer profit des dispositions de continuité.
La fiscalité étant ce qu’elle est, une réflexion à long terme ne peut qu’être bénéfique. Les clients devraient consulter leurs conseillers afin de déterminer l’incidence de ces règles sur des plans de succession déjà élaborés. Le cas échéant, il sera important de savoir qui détient les actions de l’entreprise privée au moment du décès (c.-à-d. le conjoint ou la fiducie de conjoint), qui héritera des actions et si le langage utilisé dans le testament et par les fiducies de conjoint doit être modifié pour éviter des conséquences fiscales inattendues.