
Que se passe-t-il avec vos biens à votre décès?
Lorsqu’une personne décède, elle est réputée avoir disposé de tous ses biens à leur juste valeur marchande au moment de son décès. Cette disposition réputée s’applique aux biens en capital tels que les résidences secondaires, les immeubles locatifs et les actions de sociétés publiques ou privées. Une exception à cette règle s’applique lorsqu’il y a un conjoint survivant : dans ce cas, les biens peuvent être transférés à ce conjoint sans incidence fiscale. En l’absence d’un conjoint survivant, tout revenu découlant des dispositions réputées est inclus dans la déclaration finale de revenus produite au nom du défunt.
La double imposition
En raison de la disposition réputée, la succession du défunt acquiert les biens à un coût égal à leur valeur marchande au moment du décès. Lorsque la succession dispose ensuite de ces biens, elle paiera de l’impôt seulement sur la portion du produit qui excède la juste valeur marchande à la date du décès. La plupart des biens seront éventuellement vendus : les actions de sociétés publiques peuvent être liquidées facilement, alors que les biens immobiliers peuvent prendre plus de temps. Cependant, il peut être difficile, voire impossible, de trouver un acheteur pour les actions d’une société privée, surtout si celle-ci détient des actifs de placement comme des immeubles ou des portefeuilles boursiers. Si la société privée ne peut pas être vendue, la succession n’a alors qu’une seule option pour accéder à la valeur détenue dans la société : liquider les actifs et retirer les fonds restants de la société. Le retrait des actifs corporatifs sera traité comme un dividende versé à la succession, ce qui entraînera une deuxième imposition sur la valeur des actions de la société privée : d’abord comme gain en capital dans la déclaration finale du défunt, puis comme dividende imposable dans la déclaration de revenus de la succession.
Exemple concret Prenons l’exemple de James, décédé en juin 2025. James était veuf et, en plus de son fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) et de ses comptes d’épargne, il détenait la totalité des actions de sa société Holdco. Par le passé, James exploitait une entreprise au sein de Holdco, qui a ensuite été vendue, et les produits nets ont été investis dans des actions et des certificats de placement garanti (CPG). Au moment de son décès, la valeur de Holdco s’élevait à 2 000 000 $. Le coût initial des actions de Holdco était nominal. Dans la déclaration finale de James, les liquidateurs inscriraient un gain en capital de 2 000 000 $, en plus de la valeur de son FERR et des autres revenus perçus durant l’année. En Alberta, par exemple, l’impôt résultant de ce gain en capital pourrait atteindre 480 000 $. Lorsque Holdco serait liquidée et que ses actifs de placement seraient transférés à la succession, la succession pourrait devoir payer jusqu’à 720 000 $ d’impôt. Ainsi, la succession de James pourrait être imposée jusqu’à 60 % de la valeur totale de Holdco.
Deux options s’offrent actuellement au liquidateur pour éviter cette double imposition.
L’élection prévue au paragraphe 164(6)
La première option consiste à liquider Holdco et à distribuer ses actifs à la succession. En plus du dividende et des conséquences fiscales déjà mentionnées, cette option fera en sorte que la succession réalise une perte en capital de 2 000 000 $. Comme une perte en capital ne peut être utilisée qu’en réduction de gains en capital, cette perte ne procurerait probablement aucun avantage à la succession. Cependant, si la liquidation de Holdco a lieu au cours de la première année de la succession (c’est-à-dire dans l’année suivant le décès de James), la succession peut exercer l’élection prévue à l’article 164(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour reporter la perte à la déclaration finale de James et éliminer le gain en capital qui y avait été inscrit.
L’utilisation de cette élection permet d’éviter la double imposition qui se produirait autrement. Cependant, elle a pour effet que la succession paie de l’impôt sur la valeur de Holdco sous forme de dividende, ce qui, à l’heure actuelle, est imposé à un taux plus élevé qu’un gain en capital. En vertu de la législation actuelle, cette stratégie doit être mise en œuvre dans l’année qui suit le décès de la personne. Cela peut créer une pression quant à la liquidation des actifs, ce qui peut être ou non réalisable selon la nature des biens sous-jacents.
La transaction en pipeline
La deuxième option est communément appelée transaction en pipeline. Dans une transaction en pipeline, la succession transfère ses actions de Holdco à une autre société, Newco, et reçoit en échange un billet à ordre émis par Newco, d’une valeur équivalente à celle de Holdco au moment du décès. Si la structure est correctement mise en place, ce transfert ne devrait entraîner aucun impôt. Ensuite, Holdco et Newco sont fusionnées et les actifs sont distribués à la succession. Une obligation fiscale ne surviendra que si la valeur des actifs reçus dépasse la valeur de Holdco au moment du décès.
La transaction en pipeline permet d’éviter le dividende qui serait autrement déclenché si Holdco était liquidée. La valeur de Holdco demeure imposée comme un gain en capital dans la déclaration finale du défunt. Comme les gains en capital sont actuellement imposés à un taux inférieur à celui des dividendes, la transaction en pipeline réduit donc l’impôt global payé par la succession.
L’Agence du revenu du Canada (ARC) continue de rendre des décisions favorables concernant la transaction en pipeline, même depuis l’entrée en vigueur, en 2023, des nouvelles Règles générales anti-évitement (RGAÉ). Ces décisions fiscales exigent généralement, entre autres conditions, qu’une société comme Holdco poursuive ses activités de la même manière qu’auparavant, et ce, pendant au moins un an avant d’être fusionnée avec Newco et que ses actifs soient distribués. Par conséquent, même si la transaction en pipeline permet une imposition plus faible pour la succession, le liquidateur peut préférer exercer l’élection prévue à l’article 164(6) afin de liquider Holdco et de distribuer ses actifs aux bénéficiaires dans un délai plus court et avec moins d’étapes administratives.
Le texte ci-dessus constitue une description simplifiée d’une transaction en pipeline. Avant de mettre en œuvre une telle stratégie, il est recommandé de procéder à un examen approfondi des dispositions techniques de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les liquidateurs devraient consulter leurs conseillers professionnels.
Événements récents
Le 12 août 2024, le ministère des Finances a publié un projet de loi visant à prolonger la période durant laquelle la succession peut réaliser une perte en capital et exercer l’élection prévue à l’article 164(6) pour reporter cette perte à la déclaration finale du défunt. Le projet prévoyait d’étendre la période actuelle d’un an à trois ans.Cela donnerait à la succession plus de temps pour planifier et exécuter la liquidation.
Le 15 août 2025, le ministère des Finances a publié un nouveau projet de loi, mais aucune information supplémentaire n’a été fournie concernant la prolongation de la période de report des pertes. Dans le cadre de cette annonce, il a simplement été indiqué que des lignes directrices concernant les mesures déjà annoncées seraient publiées ultérieurement.
 
    