
Sociétés rattachées et impôt de la partie IV : Analyser Canada c. Vefghi Holding Corporation
Introduction
La récente décision de la Cour d’appel fédérale (CAF) dans Canada c. Vefghi Holding Corporation (2025 CAF 143) a fourni une clarification cruciale concernant l’application de l’impôt de la partie IV dans le cadre de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) aux dividendes réputés reçus par des sociétés qui étaient bénéficiaires de fiducies. Cette décision infirme la décision antérieure de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) et a de grandes incidences sur les stratégies de planification fiscale associées aux fiducies et aux structures des sociétés. Cette alerte abordera le contexte de l’affaire, analysera le raisonnement de la CCI et de la CAF et explorera l’importance juridique élargie et les implications pratiques pour les contribuables et les praticiens.
Contexte et faits
Le fondement de l’affaire Vefghi porte sur l’application de l’impôt de la partie IV, un mécanisme pour prévenir le report de l’impôt sur le revenu de placements passifs, particulièrement dans le contexte des dividendes internes de la société. Le scénario en particulier comportait une fiducie agissant comme intermédiaire entre une société payant des dividendes et une société bénéficiaire. La fiducie recevait des dividendes et subséquemment faisait une attribution prévue au paragraphe 104(19) de la LIR, ce qui attribuait essentiellement le dividende imposable à la société bénéficiaire.
La question centrale était le moment de la détermination de l’état de « rattachement » entre la société payant des dividendes et la société bénéficiaire aux fins de l’impôt de la partie IV lorsqu’une fiducie s’interpose. Le fondement de l’affaire supposait que la société payante était contrôlée par la société bénéficiaire lorsque le dividende était versé à la fiducie, mais que ce contrôle cessait avant la fin d’exercice de la fiducie. Cette différence chronologique a constitué le conflit.
Décision de la Cour canadienne de l’impôt (2023 CCI 135)
La Cour canadienne de l’impôt (CCI) a initialement tranché que le moment pertinent pour déterminer si deux sociétés sont « rattachées » aux fins de l’impôt de la partie IV est lorsque le dividende est reçu par la société actionnaire. Le raisonnement de la CCI était que, selon le paragraphe 104(19) de la LIR, la société bénéficiaire est présumée avoir reçu le même dividende que la fiducie et donc on doit considérer qu’elle l’a reçu à la même date que la fiducie.
Cependant, la CCI a reconnu une ambiguïté inhérente au paragraphe 104(19), lequel indique que le dividende réputé est reçu au cours de l’année d’imposition du bénéficiaire à laquelle l’exercice de la fiducie prend fin, sans préciser un jour exact. Cette ambiguïté posait des difficultés, particulièrement lorsque la fin d’exercice du bénéficiaire ne correspond pas à la fin d’exercice de la fiducie, entraînant des incongruités dans l’application du critère du « rattachement ».
Décision de la Cour d’appel fédérale (2025 CAF 143)
La Cour d’appel fédérale (CAF), en fin de compte, était en désaccord avec l’interprétation de la CCI, soulignant une application stricte du libellé de la loi au paragraphe 104(19).
Raisonnement juridique clé
La CAF a clarifié que le paragraphe 104(19) de la LIR ne détermine pas que le bénéficiaire a reçu le dividende à la même date que la fiducie. Plutôt, la disposition précise que le dividende réputé est reçu au cours de l’année d’imposition du bénéficiaire à laquelle l’exercice de la fiducie prend fin, mais, crucialement, elle ne précise pas un jour particulier à l’intérieur de cet exercice. Le raisonnement de la CAF était que, puisque la fiducie ne peut pas faire l’attribution nécessaire avant sa fin d’exercice (puisqu’elle doit être un résident au Canada tout au long de l’année et l’attribution est faite dans sa déclaration de revenus), le plus tôt que l’on peut considérer le dividende réputé comme reçu par le bénéficiaire est le dernier jour de l’année d’imposition de la fiducie. Par conséquent, la CAF a conclu que le moment pertinent pour déterminer si la société payante et la société bénéficiaire sont « rattachés » aux fins de l’impôt de la partie IV est la fin de l’année d’imposition de la fiducie.
Interprétation législative
La décision de la CAF était fondée sur l’approche interprétative établie dans Canada Hypothèques Trustco Canada c. Canada, laquelle exige une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée. Tout en reconnaissant que le but de l’impôt de la partie IV est de prévenir le report d’impôt sur des revenus de placements passifs, la CAF a souligné que ce but ne peut pas l’emporter sur le libellé clair et non ambigu du paragraphe 104(19). La Cour a également expressément fait la distinction entre le scénario de fiducie et les partenariats, notant l’absence de toute disposition dans la LIR qui déterminerait qu’un bénéficiaire possède des actions détenues par une fiducie aux fins du critère du « rattachement ». Cela souligne l’importance d’un libellé législatif précis dans le droit fiscal et les limitations de l’application d’analogies d’autres structures juridiques.
Conséquences pratiques
La décision de la CAF a eu des implications pratiques importantes. Si la société payante cesse d’être rattachée à la société bénéficiaire avant la fin de l’année d’imposition de la fiducie, l’impôt de la partie IV s’appliquera. Cela signifie que même si le bénéficiaire était considéré comme « rattaché » au moment du versement initial du dividende à la fiducie, un changement de contrôle ou de relation avant la fin d’exercice de la fiducie pourrait déclencher l’impôt de la partie IV. Ce résultat souligne l’importance critique de surveiller les relations des sociétés tout au long de l’année d’imposition de la fiducie, particulièrement dans les opérations commerciales dynamiques où les structures de contrôle peuvent changer.
Importance juridique et implications sur la planification fiscale
La décision de la CAF dans Vefghi fournit des directives faisant preuve d’autorité quant au moment pour l’application du critère du « rattachement » pour l’impôt de la partie IV lorsqu’une fiducie s’interpose entre une société payante et une société bénéficiaire. La décision souligne l’importance du libellé législatif dans les dispositions déterminatives et clarifie que le paragraphe 104(19) est limité à ce qui est expressément formulé dans la Loi. Cela a des implications importantes sur la planification fiscale pour les structures comportant des fiducies et des sociétés bénéficiaires, particulièrement dans les situations où l’état de contrôle ou de rattachement peut changer au cours de l’exercice de la fiducie.
Les praticiens doivent particulièrement porter attention au fait que le critère de l’état de « rattachement » est appliqué à la fin de l’année d’imposition de la fiducie. Cela peut nécessiter une évaluation des structures de fiducie existantes et une approche plus proactive pour surveiller les changements dans le contrôle des sociétés. Par exemple, dans une transaction de vente d’actions, le moment de la vente par rapport à la fin d’exercice de la fiducie peut avoir un impact important sur l’application de l’impôt de la partie IV. La décision souligne également le potentiel pour des conséquences fiscales imprévues, comme la perte temporaire de rattachement qui, même si corrigée peut de temps après, peut déclencher l’impôt de la partie IV si elle se produit à la jonction critique de la fin d’exercice.
Conclusion
En résumé, la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Vefghi Holding Corporation établit l’interprétation courante de l’impôt de la partie IV et du paragraphe 104(19) de la LIR. En établissant la fin de l’année d’imposition de la fiducie comme le point définitif pour déterminer l’état de « rattachement », la CAF a fourni de la clarté tout en introduisant de nouvelles considérations pour la planification fiscale. Cette décision renforce le fondement que les lois fiscales doivent être interprétées de façon stricte et que les contribuables doivent soigneusement gérer le moment du contrôle des sociétés à l’intérieur des structures de fiducie pour éviter les obligations imprévues en vertu de l’impôt de la partie IV. La décision Vefghi influencera sans doute les stratégies fiscales futures et souligne la nature dynamique de la jurisprudence en matière d’impôt canadien.