
Le 13 décembre, le ministère des Finances a publié des propositions d’amendement très attendues aux règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné (IRF). Cette publication intervient au terme d’une année tumultueuse pour les propriétaires de petites entreprises, les conseillers fiscaux, les responsables du ministère des Finances, les députés et le ministre des Finances. Les propositions initiales du 18 juillet et la brève période de consultation dont elles ont fait l’objet ont provoqué une grande consternation et une grande frustration parmi la population.
D’une manière générale, la nouvelle série de modifications apportées aux règles de l’IRF permet de mieux faire la part des choses entre les soucis d’équité du gouvernement et les intérêts du secteur si essentiel des petites entreprises. Les corporations professionnelles (CP) et certaines entreprises appartenant au secteur de services (ESS) ne sont cependant pas traitées de la même manière dans certains cas et pourraient continuer à être assujetties aux règles de l’IRF. Mais des solutions sont possibles pour nombre de ces entités, si l’on procède avec précaution.
D’un point de vue technique, les modifications signalent un retour à une tradition canadienne qui a notamment à cœur de faire découler le droit fiscal de la Loi de l’impôt sur le revenu et non de décrets administratifs.
L’IRF s’applique à tous, y compris au fondateur, dès lors qu’un membre de la famille détient 10 % ou plus de la valeur de « l’entreprise liée ». Cet impôt est de plus assujetti aux taux d’imposition marginaux les plus élevés.
Nous vous fournirons prochainement un aperçu des montants non concernés par l’IRF (« montants exclus »). Vous constaterez ainsi que nous entrons dans une nouvelle ère en ce qui concerne la planification fiscale, la planification d’entreprise et la planification successorale pour les petites entreprises familiales – une ère notamment dictée par le souci du détail.
Dérogations aux règles de l’IRF
Une « entreprise exclue » est une entreprise caractérisée par la participation active, régulière, continue et importante, durant l’année d’imposition, d’un particulier ayant atteint l’âge de 17 ans avant le début de ladite année — des conditions qui ne sont de plus remplies que si la personne travaille en moyenne 20 heures par semaine durant la période concernée. La dérogation devient définitive lorsque la personne accumule cinq années de travail selon les règles susmentionnées. Ces dérogations concernent toutes les entreprises, y compris les corporations professionnelles (CP) et les entreprises appartenant au secteur des services (ESS).
La dérogation portant sur les actions (« actions exclues ») suscite quant à elle de nombreuses interrogations. En voici quelques-unes :
- La dérogation s’applique à toute personne âgée de 25 ans ou plus qui détient au moins 10 % de la valeur et des droits de vote associés aux actions « au moment » du paiement des dividendes.
- À première vue, cette dérogation ne concerne pas les CP ou les sociétés dont au moins 90 % ou plus des revenus proviennent de services fournis durant l’année fiscale écoulée (le cas des ESS), ce qui pourrait représenter un piège pour nombre d’ESS, par exemple, celles appartenant à des préposés à l’entretien, des couvreurs, des plombiers, des conseillers financiers, des consultants en informatique, etc. Étant donné que le statut d’une société peut évoluer avec le temps, la définition précise d’une ESS et la mesure du seuil de 90 % ne seront pas chose facile.
- L’IRF peut s’appliquer aux sociétés de portefeuille dont les actions sont détenues par plusieurs membres de famille, à condition que les actifs proviennent d’entreprises liées — un facteur qui peut s’avérer complexe et exiger une préparation minutieuse.
- Les revenus d’une société peuvent ne pas provenir entièrement ou presque entièrement (« totalité ou quasi-totalité »), directement ou indirectement, d’une ou de plusieurs autres entreprises liées, y compris de montants issus « directement ou indirectement » d’une entreprise liée. Nous espérons que le ministère des Finances précisera prochainement la signification du vocable « autre ».
- Le critère de « totalité ou de quasi-totalité » constitue une évaluation de l’état des revenus. Par exemple, si une société de portefeuille tire 65 % seulement de ses revenus d’entreprises liées (voire d’une CP, d’une ESS ou de sociétés ayant précédemment appartenu à ces catégories) et le reste d’autres sources, celle-ci sera admissible à la dérogation portant sur les actions (« actions exclues »).
Pour les personnes âgées de 17 ans ou plus avant le début de l’année, l’exonération est applicable aux gains en capital imposables provenant d’actions admissibles de petite entreprise ou de biens agricoles et de pêche admissibles. Elle peut aussi s’appliquer aux petites sociétés « exploitées activement » qui respectent au moment des faits (et ont fait de même durant les deux années précédentes) les limites strictes établies en vertu des actifs excédentaires. Par chance, elle peut également s’appliquer à certaines CP et ESS à condition que celles-ci évitent continuellement d’accumuler des actifs excédentaires, une démarche qui nécessite une planification attentive et une exécution soignée.
L’IRF n’est pas applicable non plus si les revenus ne proviennent pas d’une « entreprise liée » — une règle qui exclut par exemple les revenus de placement et parfois même, le cas échéant, les revenus locatifs, à condition que ceux-ci ne proviennent pas d’entreprises liées ou, comme indiqué plus haut, de montants en découlant.
Si le « conjoint source » (en ce qui concerne le revenu) ou le conjoint de fait a atteint l’âge de 64 ans avant l’année, les revenus ou les gains imposables de l’autre conjoint seront exonérés de l’IRF (même si cette personne est moins âgée), pourvu que le montant bénéficie d’une dérogation du côté du conjoint source. Cette nouvelle procurera un soulagement aux familles (y compris pour bon nombre de CP et d’ESS) qui doivent préparer leur retraite à partir de bénéfices de société non répartis et en conformité au régime régissant actuellement le fractionnement de revenus de pension.
Les revenus provenant de biens reçus en héritage seront souvent exonérés dans le cas de personnes âgées de 17 ans ou plus avant le début de l’année. Pour les plus jeunes, tout revenu tiré d’un bien hérité d’un parent décédé sera également exonéré. Une autre disposition en matière de succession prévoit une dérogation pour les étudiants à temps plein de niveau postsecondaire et les personnes de moins de 25 ans admissibles au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Une planification successorale multigénérationnelle minutieuse sera de mise et devra accorder une attention particulière aux dispositions établies en vertu de fiducies viagères.
Les revenus provenant de transferts de biens consécutifs à des divorces sont également exclus.
Conclusion
La série de mesures introduites par Bill Morneau réaffirme aujourd’hui — il est rassurant de le constater — les principes canadiens de certitude et de prévisibilité de par la suppression de dispositions et de règles anti-évitement généralistes. Dans bien des cas, ces mesures apportent un soulagement opportun aux inquiétudes suscitées par les propositions du 18 juillet, même si elles comportent nombre de complications et de restrictions pour les CP et les ESS.
Il est donc fortement conseillé de planifier son entreprise ou sa succession de manière rigoureuse et continue.
N’oublions pas que cette série de mesures ne constitue qu’une étape au sein du plan d’équité fiscale promu par le gouvernement. Nous attendons à présent les modifications relatives au revenu passif dans le budget de 2018 ainsi que l’examen, par le ministère des Finances, des disparités importantes constatées entre l’imposition des gains en capital et celui des dividendes.
Veuillez consulter votre conseiller attitré auprès de Collins Barrow pour mieux comprendre les répercussions de ces amendements sur votre situation personnelle.