
Les fiducies collectives des employés : un outil à manipuler avec précaution
Le budget de 2023 a proposé d’introduire des « fiducies collectives des employés » (FCE) afin d’encourager la détention de sociétés fermées par leurs employés et de faciliter le transfert de telles entreprises vers ces individus. La structure des FCE est inspirée de modèles employés au Royaume‑Uni et aux États‑Unis.
Les modifications proposées entreront en vigueur le 1er janvier 2024.
Cette alerte fiscale a pour objectif de décrire les règles nouvellement proposées en vertu des FCE et de fournir quelques commentaires sur le sujet. Ces règles sont malheureusement très restrictives et auront vraisemblablement pour conséquence de diminuer l’attrait des FCE. Il est espéré que le gouvernement fédéral modifiera lesdites règles afin d’accroître l’emploi de ces fiducies.
Les avantages offerts par les FCE sur le plan fiscal
La FCE offre certains avantages fiscaux afin de faciliter l’acquisition et la détention d’entreprises jugées admissibles à cette fin. Ces avantages incluent :
- Une exception pour les prêts d’actionnaires :
La FCE peut emprunter à une entreprise admissible pour faciliter un transfert admissible d’entreprise si des arrangements de bonne foi ont été faits pour le remboursement de la créance dans les quinze ans qui suivent le transfert.
- Une provision pour gains en capital plus étendue
La durée maximale de la provision pour gains en capital passera de cinq à dix ans si les actions sont vendues à une FCE en vertu d’un transfert admissible d’entreprise ;
- L’abrogation de la règle des 21 ans :
La règle des 21 ans (une règle fiscale en raison de laquelle nombre de fiducies personnelles entre vifs sont réputées disposer de toutes leurs immobilisations après vingt‑un ans) n’est pas applicable aux fiducies collectives des employés.
Les transferts admissibles d’entreprises
Ces avantages fiscaux ne seront fournis que si le transfert effectué vers la FCE est un transfert admissible d’entreprise – un transfert notamment caractérisé par la disposition des actions du capital‑actions d’une société (appelée dans ce contexte « société en cause ») par un contribuable en faveur d’une FCE ou d’une société privée sous contrôle canadien (SPCC) détenue par cette FCE (la « société acheteuse ») et contrôlée entièrement par celle‑ci. Les conditions suivantes doivent de plus être respectées :
- Immédiatement avant la disposition, la totalité ou presque de la juste valeur marchande (JVM) des actifs de la société en cause est attribuable à des actifs (à l’exception de participations dans des sociétés de personnes) utilisés essentiellement dans une entreprise que la société en cause ou une société entièrement détenue et contrôlée par la société en cause exploite activement et principalement au Canada ;
- Au moment de la disposition, le contribuable n’entretient pas de liens de dépendance avec la FCE ou avec une quelconque société acheteuse, la FCE acquiert le contrôle de la société en cause et tous les bénéficiaires de la FCE sont employés dans l’entreprise ;
- À tout moment après la disposition, le contribuable n’entretient pas de liens de dépendance avec la société en cause, la FCE ou une quelconque société acheteuse et ne conserve pas un droit ou une influence dont l’exercice lui permettrait (seul ou avec une personne ou une société de personnes qui lui est liée ou affiliée) d’exercer un contrôle de fait sur la société en cause, la FCE ou une quelconque société acheteuse.
Cette définition des transferts admissibles d’entreprises est très restrictive et aura vraisemblablement pour conséquence de restreindre l’emploi de FCE dans de nombreux cas. Si les employés admissibles ne sont pas en mesure de financer l’achat de l’entreprise admissible, la FCE aura probablement besoin d’être financée par le vendeur. Les règles semblent empêcher le vendeur de réacquérir les actions de la FCE si celle‑ci est incapable de rembourser la créance. Dans une transaction typique impliquant des actions, le vendeur voudra contrôler la société ou au moins avoir le droit de réacquérir les actions après leur vente si le prix d’achat n’est pas payé.
La définition peut aussi empêcher une FCE d’acquérir une entreprise engagée dans d’importantes activités à l’étranger, en raison notamment de l’exigence discutée dans le premier point centré (voir ci‑dessus). L’entreprise pourrait probablement être restructurée pour répondre à ces conditions, mais la démarche est‑elle pratique ou souhaitable sur le plan commercial ?
Exigences à respecter par les FCE
Les FCE sont soumises à de nombreux critères d’admissibilité, qui vont de règles fondées sur la résidence à des modalités à respecter pour les bénéficiaires et la gouvernance. Vous trouverez ci‑dessous les principaux critères à respecter en vertu de la législation proposée.
Le lieu de résidence
La FCE doit être une résidente de fait au Canada. Ce fait sera déterminé par l’emplacement physique de sa direction centrale.
Les biens détenus par la fiducie
La totalité ou presque (90 % ou plus, selon l’Agence du revenu du Canada) de la juste valeur marchande des biens de la FCE doit être attribuable aux actions du capital‑actions d’une ou de plusieurs entreprises admissibles contrôlées directement ou indirectement par la FCE et par l’intermédiaire desquelles l’ensemble des bénéficiaires de la FCE sont employés.
Cette exigence pourrait ne pas être satisfaite si la FCE accumule d’autres actifs et ces actifs ont une JVM supérieure à 10 % de la JVM de tous les actifs détenus par la fiducie ou si un ou plusieurs des investissements effectués par cette dernière cessent d’être des entreprises admissibles. Par voie de conséquence, la FCE pourrait ne pas être autorisée à détenir des créances importantes sur une ou plusieurs entreprises admissibles.
Le terme « entreprise admissible » désigne, dans le contexte législatif visé, toute société contrôlée par une FCE dans le respect de ces conditions :
- La société est une société privée sous contrôle canadien (SPCC) dont la totalité ou presque de la juste valeur marchande des éléments d’actif est attribuable à des éléments d’actif (à l’exception d’une participation dans une société de personnes) utilisés essentiellement dans une entreprise que la société, ou une société qu’elle contrôle, exploite activement et principalement au Canada ;
- Pas plus de 40 % des administrateurs de la société sont des personnes qui, immédiatement avant le moment où la fiducie en a acquis le contrôle, détenaient directement ou indirectement, avec des personnes liées à elles, au moins 50 % de la juste valeur marchande des actions du capital‑actions ou des dettes de la société ;
- La société n’entretient aucun lien de dépendance avec aucune personne ou société de personnes qui, immédiatement avant le moment où la fiducie a acquis son contrôle, détenait au moins 50 % de la JVM des actions de son capital‑actions ou de ses dettes et n’est pas affiliée à ces personnes.
La société pourrait ne plus été jugée admissible si elle accumule des actifs autres que des actions dans une ou plusieurs entreprises admissibles et la JVM de ces actifs est supérieure à 10 % de la valeur collective de ses propres actifs – une règle somme toute trop restrictive qui nécessitera une surveillance continue pour s’assurer que chaque entreprise admissible reste dans le coup. Cette règle pourrait aussi empêcher des sociétés détenues par des FCE de se développer à l’étranger.
Si une entreprise admissible accorde un prêt d’actionnaire à une FCE dans le but de lui permettre d’acheter ces actions, cette entreprise risque apparemment – dépendant du montant – de ne pas respecter l’exigence liée à la JVM de ses actifs (la règle des 90 % – voir plus haut pour plus de détails). La législation devrait en conséquence être modifiée pour préciser le montant à partir duquel le prêt sera pris en considération. Cette lacune pourrait entretemps restreindre la capacité des FCE à financer l’achat des entreprises admissibles visées par elles et, par voie de conséquence, décourager davantage l’emploi des FCE.
Les bénéficiaires de la fiducie
Le groupe des bénéficiaires de la FCE doit être entièrement constitué de personnes physiques employées par une ou plusieurs des entreprises admissibles contrôlées par cette dernière, à l’exception des suivants :
- Les employés qui n’ont pas complété une période probatoire raisonnable ne dépassant pas douze mois ;
- Les employés qui détiennent, directement ou indirectement (autrement que par l’intermédiaire de la fiducie), 10 % ou plus de la juste valeur marchande de n’importe quelle catégorie d’actions du capital‑actions d’une entreprise admissible contrôlée directement ou indirectement par la FCE ;
- Les employés qui détiennent directement ou indirectement, avec une personne ou société de personnes liée ou affiliée, au moins 50 % de la JVM de n’importe quelle catégorie d’actions du capital‑actions d’une entreprise admissible contrôlée directement ou indirectement par la FCE ;
- Les employés qui détenaient, directement ou indirectement, avec une personne ou société de personnes liée ou affiliée, au moins 50 % de la JVM des actions du capital‑actions et de la dette de l’entreprise admissible immédiatement avant le moment où le transfert admissible (d’entreprise) effectué en faveur de la FCE a eu lieu.
La participation des bénéficiaires
La participation de chaque bénéficiaire dans la fiducie doit être déterminée de la même manière et uniquement en fonction de l’application raisonnable d’une combinaison des critères suivants :
(i) le nombre total des heures de travail fournies à l’entreprise admissible par le bénéficiaire ;
(ii) le montant total du traitement, du salaire ou d’autres rémunérations versées ou dues au bénéficiaire par l’entreprise admissible ;
(iii) la durée de l’emploi du bénéficiaire dans l’entreprise admissible ;
La FCE n’est ainsi pas en mesure de distribuer des actions du capital‑actions de l’entreprise admissible à n’importe lequel de ses bénéficiaires. Il n’est pas non plus clair si elle peut racheter la participation d’employés qui prennent leur retraite.
La gouvernance de la fiducie
Les fiduciaires sont élus par les bénéficiaires pour une période maximale de cinq ans ; ces derniers doivent être âgés de dix‑huit ans ou plus au moment du vote. Les droits de vote sont les mêmes pour tous les bénéficiaires habilités à se faire entendre (au moyen d’un scrutin) sur la conduite des affaires de la fiducie.
Chacun des fiduciaires doit être un particulier ou une société résidant au Canada et autorisé, par permis ou autrement, et en vertu de lois fédérales ou provinciales, à exercer la fonction de fiduciaire. Le groupe de fiduciaires ne peut être constitué à plus de 40 % de personnes qui, immédiatement avant le moment où la fiducie a acquis le contrôle, détenaient, directement ou indirectement, avec une personne ou une société de personnes liée ou affiliée à elles, au moins 50 % de la JVM des actions du capital‑actions ou de la dette de l’entreprise admissible ou de sociétés dont le conseil d’administration est composé à plus de 40 % des personnes susmentionnées.
En dernier lieu, il est interdit à la fiducie d’agir uniquement dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou d’un groupe de bénéficiaires particulier au sein de la fiducie ;
Conclusion
La FCE est un autre moyen à considérer par les propriétaires d’entreprise lors de la planification de leur relève. Comme souligné précédemment, les règles régissant l’emploi de telles fiducies sont restrictives, d’où la persistance de certaines incertitudes. Les FCE peuvent malgré tout être considérées comme une alternative viable pour le transfert d’entreprises à des employés. Si les conditions ne sont pas propices à son emploi, les propriétaires d’entreprise concernés peuvent se tourner vers d’autres solutions.
Pour en savoir plus, veuillez entrer en contact avec l’un des conseillers de Baker Tilly.