
Le ministère des Finances se penche sur la planification fiscale des sociétés privées
Le 18 juillet, le ministère des Finances a publié un document de consultation décrivant dans les grandes lignes des mesures visant à proscrire certaines des stratégies de planification fiscale employées à l’heure actuelle par des propriétaires de sociétés privées au Canada, dans l’espoir de mettre fin aux « avantages inéquitables » conférés à ces derniers par ces stratégies. Le document était accompagné d’un avant-projet de loi et de notes explicatives sur certaines des mesures proposées. Le gouvernement avait déjà indiqué son intention de modifier le système d’imposition des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) dans le budget de 2017, en mars.
Les mesures proposées visent, en particulier, à contrecarrer les stratégies qui permettent aux propriétaires de sociétés privées de réduire leur fardeau fiscal global, notamment : a) la répartition de revenus ou de gains en capital parmi les membres de leurs familles b) la conversion du revenu régulier de leurs sociétés en gains en capital et c) la détention d’un portefeuille de placements au sein de leurs sociétés.
Lors de l’annonce de la publication du document de consultation et d’autres documents pertinents, le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, a réaffirmé que les SPCC engagées dans le commerce actif contribuent de manière considérable à l’économie canadienne et souligné que les mesures proposées ne visaient pas les opérations actives de ces sociétés. Comme expliqué ci-dessous, l’un des mécanismes proposés pour identifier les transactions problématiques sera le critère du caractère raisonnable. Il est important de noter que les tentatives antérieures visant à ancrer le concept de « caractère raisonnable » au sein de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (« Loi ») se sont avérées problématiques en raison de leur nature subjective et des incertitudes qu’elles pourraient susciter au sein des contribuables.
Mesures proposées à l’encontre de la stratégie de répartition de revenu
Élargissement du concept de revenu fractionné
La répartition du revenu permet aux propriétaires de tirer avantage des taux d’imposition progressifs en vigueur au Canada par le transfert de revenus personnels sujets aux taux d’imposition les plus élevés à des membres de famille dont le taux est moins élevé. À l’heure actuelle, les règles d’imposition relatives aux revenus fractionnés contenues dans la Loi ne s’appliquent qu’aux mineurs (la « taxe pour enfants »). L’objectif présent est d’étendre ces règles à des particuliers d’âge adulte dans les cas où le montant du revenu fractionné semble déraisonnable dans les circonstances. Entre autres choses, la légitimité du fractionnement sera déterminée en fonction de l’apport en main-d’œuvre ou en capitaux (dans la société) du bénéficiaire ou des risques assumés par ce dernier, sans oublier l’ampleur et la fréquence des rémunérations antérieures dont il a fait l’objet. Le taux d’imposition marginal le plus élevé est ensuite appliqué si le montant est jugé déraisonnable. La mesure est appelée à s’appliquer à 2018 et aux années d’imposition qui suivront.
Éliminer ou réduire les avantages offerts par les exonérations de gains en capital
Les stratégies de planification fiscale susmentionnées incluent souvent le recours à une fiducie ou à des structures financières similaires dans le but d’accroître le nombre des exonérations cumulatives de gains en capital (ECGC) accessibles aux membres de la famille et de procurer un abri fiscal aux gains en capital découlant de la vente d’une entreprise. Grâce aux mesures proposées, le particulier ne pourra utiliser l’abri fiscal fourni par l’ECGC que pour des gains en capital réalisés entre l’année d’imposition au cours de laquelle ils ont atteint l’âge de 18 ans et la date de vente.
L’exonération ne sera également plus applicable pour tout gain en capital accumulé durant la période où le bien était détenu par une fiducie (sous réserve de certaines exceptions) et pour tout gain associé à un fractionnement de revenus.
Bien que ces propositions visent des dispositions postérieures à 2017, le ministère des Finances a fourni un ensemble de règles transitoires qui permettent au particulier de réaliser, s’il le souhaite, un gain en capital relatif à un bien admissible par l’effet d’une disposition réputée, pour une somme ne dépassant pas la juste valeur marchande du bien. Le droit de choix sera accordé à l’égard de tout bien ayant appartenu en permanence à la personne de la fin de 2017 à la date d’entrée en vigueur de la disposition réputée en 2018. Les gains en capital provenant de tels exercices ont droit à l’ECGC en vertu des règles fiscales courantes.
Changements dans les exigences de déclaration relatives aux fiducies
En vertu de ces nouvelles mesures, les fiducies devront se conformer aux mêmes exigences de déclaration que les sociétés et les sociétés en nom collectif, y compris celles relevant de l’émission d’un numéro d’entreprise et de l’utilisation de feuillets T5.
Mesures relatives à la conversion de revenus en gains en capital
Lorsqu’un propriétaire individuel de société privée perçoit des revenus (de la part de sa société) sous la forme de gains en capital plutôt que sous la forme d’un salaire ou de dividendes, il a généralement droit à un taux d’imposition plus bas. Les taux d’imposition marginaux les plus élevés appliqués en 2017 à l’encontre des résidents de l’Ontario sont les suivants :
Revenus réguliers (salaires inclus) 53,53 %
Dividendes non déterminés 45,30 %
Dividendes déterminés 39,34 %
Gains en capital 26,76 %
Élargissement de la portée des règles existantes en matière de dépouillement de surplus
Le dépouillement de surplus implique toute extraction de surplus (des revenus d’une société) faite dans le but de procurer un gain en capital à la place de dividendes à un particulier. Le plan comprend généralement la vente des actions de l’individu à une société dépendante (société qui entretient un lien de dépendance avec l’individu).
Les mesures proposées entreprendront de réduire le prix de base des actions de l’individu selon un montant égal à tous les gains en capital réalisés lors de la vente d’actions précédentes par le particulier ou par un proche, que ces gains aient été protégés ou non par une exonération de gains en capital. À l’heure actuelle, la réduction du prix de base n’est effectuée que si une exonération de gains en capital a été préalablement réclamée pour l’action.
Nouvelle règle contre le dépouillement des surplus
Le ministère des Finances prévoit également d’introduire une règle supplémentaire visant les opérations dont l’un des buts manifestes est de « faire disparaître » une part considérable des actifs d’une société par le versement d’une contrepartie non constituée d’actions à un particulier. Dans un tel cas, la contrepartie non constituée d’actions sera traitée comme un dividende imposable. Une fois adoptées, ces règles anti-dépouillement s’appliqueront aux ventes d’actions et aux montants reçus ou recevables à partir du 18 juillet 2017.
Transfert d’actions entre générations
Le ministère des Finances cherche à obtenir des avis sur le moyen de différencier les transferts d’entreprise entre générations véritables (d’adulte à adulte ou d’adulte à enfant) des opérations d’évitement fiscal légitimement visées par les mesures proposées.
Mesures concernant la détention de portefeuilles de placement passifs dans une société privée
Les propriétaires de sociétés privées utilisent souvent des portefeuilles de placement passifs au sein de leurs sociétés pour accumuler des revenus, car les taux d’imposition relatifs au revenu des sociétés sont largement inférieurs à ceux préconisés pour les particuliers. Les réformes proposées affecteront de manière générale les entreprises privées qui mettent de côté certains de leurs bénéfices dans le but de les investir dans des portefeuilles d’investissement passifs. Aucune législation n’a jusqu’ici été proposée pour régler la question du traitement fiscal des revenus de placement passifs au sein de sociétés privées. Le ministère des Finances sollicite à l’heure actuelle les commentaires du public (date de clôture pour les envois : le 2 octobre 2017) sur certaines approches visant à aligner les règles d’imposition employées pour les sociétés à celles employées pour les particuliers.
La proposition décrit deux approches possibles pour éliminer le régime de remboursement actuel des impôts à l’investissement payés par les sociétés. L’approche suggérée compte également éliminer l’inclusion, dans le compte de dividendes en capital, de la part non imposable de tout gain en capital provenant d’investissements acquis par le biais de revenus actifs. Le ministère des Finances tentera également de savoir si les ajouts au compte de dividende en capital pourront être maintenus dans des situations rares, comme dans le cas de gains en capital réalisés sur la vente sans lien de dépendance de sociétés qui sont contrôlées par d’autres et qui sont exclusivement concernées par la poursuite de revenus actifs.
Les nouvelles règles sont destinées à s’appliquer à l’avenir et auront un impact limité sur les investissements passifs existants. Le ministère des Finances présentera une proposition détaillée après avoir consulté les membres du public.
Résumé
La législation proposée ainsi que les propositions supplémentaires contenues dans ce document de consultation auront un impact significatif sur la manière dont les impôts seront prélevés dans l’avenir pour les sociétés privées et leurs propriétaires. La tentative du ministère des Finances d’éliminer les « avantages inéquitables » pourrait cependant conduire à des cas de double imposition pour de nombreuses entreprises et de nombreux entrepreneurs privés. Les propriétaires de ces sociétés seraient bien avisés de passer en revue leurs structures et leurs sources de revenus existantes afin de pouvoir évaluer l’impact éventuel de ces nouvelles mesures.