
Quelle structure pour votre ferme ? Entreprise personnelle, société en nom collectif ou société de capitaux ?
« Quelle structure d’entreprise me conseillez‑vous de choisir pour mon exploitation ? ». C’est l’une des questions les fréquemment posées à notre société par les agriculteurs faisant partie de notre clientèle.
Les structures les plus couramment utilisées dans le secteur agricole sont :
- L’entreprise personnelle (sole proprietorship) — lorsque l’entreprise est exploitée par une seule personne ;
- La société en nom collectif (partnership) – lorsqu’elle est exploitée par deux personnes ou plus ;
- La société de capitaux (corporation) – lorsqu’elle est exploitée par une entité juridique distincte.
Le choix de la structure qui conviendra le mieux à votre exploitation agricole parmi les trois dépendra de nombreux facteurs. Cet article tentera de décrire certains des principaux avantages et inconvénients présentés par chacune des options susmentionnées afin de vous aider à prendre cette décision.
Degré de complexité et ampleur des frais d’administration
Les frais comptables sont plus élevés dans les sociétés de capitaux, parce que ce type d’entreprise est plus complexe et nécessite la production d’états financiers et de déclarations de revenus séparés pour la société et l’individu concernés. Les propriétaires sont aussi appelés à se familiariser avec des notions complexes et employées exclusivement pour ce type d’entreprise, comme la distinction entre les dividendes et les salaires, les actions privilégiées et les prêts aux actionnaires. La création de la société et la prise en compte des résolutions d’actionnaires annuelles occasionneront, de surcroît, des dépenses juridiques supplémentaires.
Les sociétés en nom collectif et les entreprises personnelles sont beaucoup plus simples et coûtent moins cher à administrer. Il n’est par exemple pas toujours nécessaire de produire des états financiers ou des déclarations de revenus séparées pour ces types d’entreprises, car les revenus sont déclarés directement sur la déclaration de revenus du ou des propriétaires. À ce jour, l’Agence du revenu du Canada (ARC) n’exige pas non plus que les sociétés en nom collectif liées au secteur agricole et composées uniquement de particuliers produisent la déclaration financière des sociétés de personnes (la T5013).
Parts de responsabilité
Les biens personnels sont aussi exposés aux attaques de créanciers que les biens de l’entreprise lorsqu’une exploitation agricole est gérée comme une entreprise personnelle ou une société en nom collectif. Dans une société en nom collectif, les associés sont, de plus, tenus conjointement et solidairement responsables des actions de chacun des membres du groupe. Si l’un des associés est par exemple reconnu coupable de négligence, les actifs personnels et commerciaux des autres associés pourraient tous être exposés à la vindicte de créanciers.
La société de capitaux offre une certaine protection aux biens personnels contre les créanciers parce qu’elle est considérée comme une entité juridique distincte par la loi. Elle vous permettra aussi de créer une corporation de portefeuille séparée pour vous aider à protéger encore plus les biens.
Déduction de pertes
La loi permet de déduire aux fins de l’impôt les pertes encourues par l’entreprise des autres revenus perçus par les propriétaires dans le cas des entreprises personnelles et des sociétés en nom collectif. Dans les sociétés de capitaux, ces pertes ne peuvent en revanche contrecarrer que des revenus d’entreprise imposables.
Si des pertes sont attendues (ce qui est souvent le cas dans les entreprises nouvellement créées), il pourrait s’avérer préférable de gérer au départ l’exploitation comme une entreprise personnelle ou une société en nom collectif plutôt que comme une société de capitaux – s’il s’avère en particulier que l’agriculteur a d’autres sources de revenus à sa disposition.
Nous tenons toutefois à souligner : l’ARC risque d’imposer des limites au montant utilisé (au titre de pertes d’entreprise) pour contrecarrer des revenus personnels – voire refuser carrément l’emploi d’un tel mécanisme – dans une entreprise personnelle ou une société en nom collectif, s’il est établi que l’agriculture n’est pas la principale source de revenus de l’individu ou si aucun profit n’est raisonnablement attendu des activités agricoles de l’exploitation.
Report de l’impôt
Les exploitations agricoles gérées comme des entreprises personnelles ou des sociétés en nom collectif sont exposées à des taux d’imposition de plus en plus élevés à mesure que leurs revenus augmentent. Celles qui sont rentables peuvent en l’occurrence être assujetties à des taux d’imposition supérieurs à 50 % dans certaines provinces. Dans les cas concernés, les fonds après impôt pouvant être utilisés pour investir dans l’entreprise seront conséquemment amoindris. Et même si les revenus d’entreprise sont d’ordinaire modérés, certains événements inhabituels comme la vente d’un troupeau de bétail peuvent propulser les revenus vers des tranches d’imposition plus élevées.
Les agriculteurs qui exploitent leurs entreprises comme des entreprises personnelles ou des sociétés en nom collectif peuvent contrecarrer les conséquences fiscales de revenus plus élevés en investissant dans des immobilisations, des systèmes de drainage par canalisations enterrées et des REER, en reportant la vente de produits de base ou en payant d’avance (avant la fin de l’année) leurs dépenses. Mais ce n’est pas toujours une bonne idée de prendre des décisions uniquement en fonction des impôts et d’écarter de l’équation la rentabilité à long terme de l’entreprise. De plus, si les flux de trésorerie sont restreints, ces options pourraient ne pas être disponibles.
Les sociétés de capitaux n’ont aucun souci à se faire dans ce secteur parce qu’elles sont assujetties à un taux d’imposition forfaitaire très bas. Ce taux d’imposition n’est que de 12,2 % en Ontario, de 11 % en Alberta et de 9,5 % en Saskatchewan pour les revenus allant généralement jusqu’à 500 000 $. Et il peut se montrer aussi bas que 25 % en Ontario, 23 % dans l’Alberta et 27 % en Saskatchewan lorsque ce plafond est dépassé.
Une fois taxées, les sociétés de capitaux ont par conséquent plus de fonds à leur disposition pour rembourser leurs dettes, investir dans des actifs et satisfaire des obligations en matière de fonds de roulement – contrairement aux sociétés en nom collectif et aux entreprises personnelles. L’ avantage fiscal étant toujours offert à la retraite des actionnaires, les sociétés de capitaux peuvent, de surcroît, être utilisées comme des instruments de placement pour la retraite, à l’image d’un REER.
Nous allons prendre pour exemple un prêt sans intérêt de 250 000 $ pour démontrer comment ces choses se déroulent dans la pratique :
Propriétaire A s’est constitué en société et est assujetti à un taux d’imposition des sociétés de 12,2 %.
Propriétaire B n’a pas constitué son entreprise en société et est assujetti à un taux d’imposition pour particuliers de 40 %.
À ce taux d’imposition de 12,2 %, propriétaire A aurait besoin de réaliser des bénéfices de 284 738 $ pour rembourser son prêt.
Propriétaire B aurait, quant à lui, besoin réaliser des bénéfices de 416 667 $ pour rembourser le sien.
Propriétaire A sera prêt à acquérir de nouveaux actifs bien avant que le propriétaire B puisse envisager un autre prêt. Et l’ajout d’intérêts rendra le scénario associé au propriétaire A encore plus attrayant.
Remarque : cet avantage fiscal sera perdu si les bénéfices ne sont pas mis de côté pour rembourser la dette ou investir dans l’entreprise. Si les bénéfices de la société de capitaux sont par exemple extraits de l’entreprise pour financer des dépenses personnelles, le taux d’imposition effectif combiné appliqué aux revenus de l’exploitation sera très similaire à celui appliqué pour une entreprise personnelle ou une société en nom collectif. Les bénéfices mis de côté pour réinvestir et développer l’entreprise ne seront toutefois pas affectés.
Il convient également de noter que cet avantage fiscal fourni aux sociétés de capitaux grandira au fur et à mesure que leurs revenus augmenteront. Si l’exploitation est une entreprise à faible revenu, l’avantage sera toutefois faible ou inexistant.
Prestations sociales
Les revenus déclarés sur les déclarations de revenus des particuliers ont un impact sur le déboursement de nombre de prestations gouvernementales comme le crédit personnel pour la TVH, les prestations de maternité de l’assurance‑emploi, l’Allocation canadienne pour enfants et la Sécurité de la vieillesse. Ces prestations pourraient être réduites ou refusées si l’individu est rattaché à une entreprise personnelle ou une société en nom collectif, car les revenus produits dans ces types d’entreprises doivent tous à être déclarés dans la déclaration de revenus personnelle de l’individu, qu’ils (les revenus) soient utilisés ou non pour des dépenses personnelles.
Les sociétés de capitaux sont plus propices à l’obtention de ces prestations parce qu’elles permettent de traiter séparément les salaires, les dividendes et les dépenses personnelles.
Admissibilité de biens agricoles à l’exemption pour gains en capital
Les particuliers ont chacun droit à une déduction (exemption) pour gains en capital de 1 000 000 $ lorsqu’ils vendent des biens agricoles admissibles comme des terres, des quotas ou des actions de sociétés agricoles familiales admissibles.
Il est beaucoup plus facile de réclamer l’exemption pour gains en capital pour les terrains ou les actifs sous forme de quota détenus par les entreprises personnelles et les sociétés en nom collectif. La simple vente de l’actif y donnera en l’occurrence droit.
L’exonération est plus difficile à réclamer lorsque tous les actifs agricoles sont détenus dans une société de capitaux, parce qu’elle est accordée aux actions et non aux terrains ou aux quotas dans ce genre d’entreprise. Le seul moyen de bénéficier de l’exemption dans ces cas est de vendre les actions de l’ensemble de la société ainsi que tous les biens détenus par celle‑ci, y compris des actifs dont on hésiterait à se débarrasser. C’est de surcroît plus difficile de trouver des acheteurs pour des actions d’entreprise que pour des terres ou des quotas.
En conséquence, un agriculteur lié à une entreprise personnelle ou une société en nom collectif et ayant dans l’idée de se constituer en société aurait probablement intérêt à garder certains de ses actifs dans l’entreprise personnelle ou la société en nom collectif (en particulier les terres agricoles), même s’il compte inclure la plupart des autres actifs dans la société de capitaux à venir. Une fois créée, la société de capitaux exploitera les terres ou les quotas concernés en tant que locataire et non en tant que propriétaire.
L’exemption pour gains en capital est accordée sur une base individuelle aux particuliers. Il est par conséquent avantageux pour un agriculteur d’exploiter sa ferme comme une société en nom collectif et non comme une entreprise personnelle et/ou de prendre comme actionnaires plusieurs membres de sa famille. La société en nom collectif lui permettra en l’occurrence de multiplier le montant de l’exonération offerte par les autorités (si une entreprise personnelle lui donnera par exemple droit à un montant d’un million de dollars, une société en nom collectif composée de deux associés [lui compris] lui permettra d’obtenir un montant de deux millions de dollars au total [un million pour chaque associé]).
Exercices financiers ne coïncidant pas avec l’année civile
Les sociétés de capitaux ne sont pas obligées de faire coïncider la fin de leur exercice financier avec celle de l’année civile sur le plan fiscal. Dans de telles entreprises, les propriétaires ont ainsi plus de temps (c’est le principal avantage) pour préparer leurs déclarations de revenus personnelles, qui sont toujours basées sur le calendrier civil. Un autre avantage est que l’on peut faire coïncider la fin de l’exercice financier de l’entreprise avec le moment où celle‑ci est le moins occupée (pour pouvoir notamment consacrer plus de temps aux travaux administratifs de fin d’année).
Le choix d’une fin d’exercice non conforme au calendrier civil pourrait aussi donner droit à un report d’impôt, particulièrement dans le cas d’entreprises liées au développement de cultures commerciales (les flux de trésorerie étant saisonniers dans ces entreprises).
Les entreprises personnelles et les sociétés en nom collectif sont obligées, quant à elles, de faire cadrer leur année financière avec l’année civile.
Dividendes discrétionnaires et séparation des fonctions liées au contrôle de l’entreprise et à la croissance des capitaux propres
La société de capitaux permet de surcroît de créer des catégories d’actions caractérisées par le paiement de montants non proportionnels à la participation réelle des actionnaires (dans ce cas‑ci, les membres de la famille) dans l’entreprise lors du versement des dividendes. Cette méthode vous permettra plus facilement – par rapport notamment aux entreprises personnelles et aux sociétés en nom collectif – de fractionner vos revenus entre les membres de votre famille pour minimiser vos fardeaux fiscaux et de respecter par la même occasion les règles liées à l’impôt sur le revenu fractionné.
La société de capitaux rend aussi possible la création de structures de gestion du capital (social) propices à la répartition des fonctions liées au contrôle et à la croissance entre des groupes d’actionnaires séparés – une opération pas souvent réalisable (il convient une fois de plus de le souligner) dans les entreprises personnelles et les sociétés en nom collectif, mais qui peut s’avérer particulièrement utile dans la planification des successions.
Conclusion
L’article n’a fait le point que sur quelques‑uns des principaux avantages et inconvénients présentés par les structures d’entreprise discutées ci‑dessus parce qu’il serait impossible d’aborder tous les aspects complexes de la question dans un seul texte. Pour trouver la structure qui vous conviendra le mieux, faites‑vous donc un devoir de consulter un professionnel.