
Les gens commencent chaque année à spéculer sur une possible augmentation du taux d’inclusion des gains en capital lorsqu’approche la date de présentation du budget fédéral. À l’heure actuelle, les particuliers ne paient des impôts que sur 50 % de leurs gains en capital et sont exonérés pour les 50 % qui restent. Même s’il y a des raisons politiques légitimes (par exemple, l’inflation, les risques) de ne pas imposer les gains en capital à 100 %, les vertus d’une imposition totale ou partielle de ces gains ne seront pas débattues dans cet article, car ce n’est pas là notre intention.
Nous nous concentrerons, au lieu de cela, sur la question du jour : le fait que l’État devra augmenter ses revenus pour financer ses dépenses sans cesse croissantes. Une augmentation des impôts s’avérera en effet nécessaire si le gouvernement compte honorer certaines de ses promesses électorales. Et si les recettes fiscales ne sont pas accrues, celui-ci sera appelé à augmenter encore plus qu’auparavant le financement de l’économie par le déficit ― un déficit auquel les libéraux devront faire attention chaque année, ayant fait la promesse de réduire progressivement le ratio dette-PIB.
Ce qui nous ramène à la question du taux d’inclusion de 50 % sur les gains en capital. Ce taux était de 75 % tout au long des années 90 et c’est la Commission Carter ― qui a apporté des réformes fiscales majeures en 1971 ― qui a en fait recommandé un taux d’inclusion de 100 %. Pourquoi donc le gouvernement n’a-t-il donc pas augmenté ce taux, si des précédents comme celui-ci existent ? Voilà une question à un million de dollars, voire à plusieurs milliards de dollars !
En 2015, les contribuables canadiens ont déclaré des gains en capital imposables de 27 milliards de dollars à peu près, ce qui signifie que 27 milliards de dollars approximativement sont restés libres d’impôts, de l’autre côté (la part non imposable). Si le gouvernement avait augmenté le taux d’inclusion des gains en capital de 25 %, cela aurait porté le pourcentage imposable à 75 % et accru la valeur de cette portion à 14 milliards de dollars, rapportant à l’État environ 6 milliards de dollars de revenus supplémentaires.
Une augmentation du taux d’inclusion des gains en capital semble donc aller de soi, d’autant plus que le Nouveau Parti démocratique (NPD) a lui-même inclus cette proposition fiscale dans son programme électoral en 2019. De surcroît, lorsque l’on examine les données de 2015 sur l’impôt des particuliers, on se rend compte que 52 % du montant total des gains en capital déclarés pour cette année provenait de personnes dont le revenu imposable était supérieur à 250 000 $. En conséquence, 62 % des six milliards de dollars estimés ci-dessus (le revenu supplémentaire généré pour le gouvernement) aurait été financé par des particuliers appartenant à cette catégorie, ce qui est conforme à la promesse électorale des libéraux ― faire payer un peu plus aux Canadiens les plus nantis.
Mais avant d’en conclure que le taux d’inclusion des gains en capital sera automatiquement augmenté dans le prochain budget fédéral, nous devrons aussi tenir compte d’un facteur pouvant influer sur la décision du gouvernement. Pour commencer, les libéraux ont déclaré vouloir se concentrer sur « la classe moyenne et les personnes qui travaillent fort pour en faire partie ». Même s’il sera difficile de mesurer l’impact d’une éventuelle modification du taux d’inclusion des gains en capital sur la classe moyenne ― du fait que cette catégorie n’a toujours pas été définie par ce parti ― il n’en demeure pas moins (si l’on se base sur les données fiscales de 2015 sur l’impôt des particuliers, qui ont démontré que 95 % des contribuables qui ont déclaré des gains en capital pour cette année avaient un revenu imposable inférieur à 250 000 $) que cette modification affectera une très grosse partie de la population votante.
Et c’est là que réside le dilemme. Une augmentation du taux d’inclusion générera bel et bien des revenus importants pour le gouvernement et sera financée en grande partie (à 62 %) par les Canadiens les plus riches. Mais cette augmentation ne touchera pas moins environ 95 % de tous les votants au Canada, car les 38 % qui restent de la facture fiscale devront été répartis entre des gens qui ne font pas partie des plus nantis. Ces gens ― quelle que soit la définition que l’on veuille donner au terme « classe moyenne » ― risquent eux aussi d’éprouver de la frustration.
Avec autant de facteurs en jeu, que va donc faire le gouvernement ? Si seulement nous avions une boule de cristal ! Au cours des quatre dernières années, certaines des mesures fiscales instaurées par l’État ont été établies en fonction des revenus afin de ne pas permettre aux Canadiens les plus riches d’en profiter. Le gouvernement pourrait, de la même façon, instaurer un système à deux niveaux basé sur le revenu dans le cas des taux d’inclusion des gains en capital. Par exemple, il pourrait appliquer un taux d’inclusion de 50 % pour les revenus imposables inférieurs à 250 000 $ et un taux d’inclusion de 75 % pour les revenus imposables supérieurs ou égaux à ce montant afin de ne s’appuyer que sur les Canadiens les plus nantis pour accroître ses revenus fiscaux dans ce secteur.
Le gouvernement pourrait également choisir d’emprunter une voie complètement différente et utiliser la même approche que le système fiscal américain : varier le taux d’imposition en fonction du laps de temps durant lequel l’actif a été détenu afin de distinguer les revenus d’entreprise des gains en capital. Ou le gouvernement pourrait tout simplement choisir de ne pas toucher au taux d’inclusion des gains en capital et de se concentrer uniquement sur d’autres mesures fiscales pouvant générer des revenus, comme un impôt sur le luxe, un impôt sur les propriétés résidentielles vacantes ou une taxe numérique.
Le budget de 2020 proposera-t-il des changements au taux d’inclusion des gains en capital ? Inscrivez-vous ici pour recevoir les analyses de Baker Tilly Canada sur le budget de 2020.