
Le gouvernement fédéral du Canada a présenté, le 18 juillet 2017, un avant-projet de loi qui modifiera profondément la manière dont les sociétés privées ainsi que leurs actionnaires sont taxées. Le gouvernement a expliqué que ces changements sont nécessaires, car ils permettront d’instaurer plus d’équité dans le système fiscal. Les autorités sont notamment d’avis que les règles actuelles sont trop vulnérables aux échappatoires fiscales et ne contribuent pas, à l’heure actuelle, à notre économie dans son ensemble.
Le projet de loi vise quatre stratégies jugées injustes :
- Le fractionnement du revenu ;
- La multiplication des demandes au titre de l’exonération cumulative des gains en capital ;
- La détention d’un portefeuille de placements passif dans une société privée ;
- La conversion du revenu après impôt d’une société en gains en capital.
Les nouvelles règles augmenteront le coût global aux fins de l’impôt pour les sociétés privées, les actionnaires et les membres de famille concernées si elles sont adoptées comme proposé.
Cette alerte fiscale est axée sur les règles nouvelles qui ont pour but de freiner l’emploi de stratégies permettant la conversion de revenus après impôts en gains en capital à la place de dividendes et sur la manière dont ces changements augmenteront le coût après impôts des transferts d’entreprises entre générations. La conversion de revenus en gains en capital est communément appelée « dépouillement de surplus ».
Dépouillement de surplus — conversion de revenus de société en gains en capital
Le gouvernement a proposé des modifications à une règle anti-évitement majeure (l’article 84.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu), qui mettront un terme à l’emploi des mécanismes de planification qui permettent aux actionnaires individuels d’extraire des surplus de société dans le but de bénéficier du traitement fiscal réservé aux gains en capital au lieu de celui réservé aux dividendes imposables. Ces modifications sont applicables aux dispositions survenues le 18 juillet 2017 ou après.
L’ancienne version de l’article 84.1 interdisait la conversion, par un contribuable ou un vendeur ayant un lien de dépendance, de revenus de société en gains en capital exonérés d’impôts en vertu de l’ECGC (exonération cumulative de gains en capital). Cependant, elle n’empêchait pas le contribuable (ou le vendeur ayant un lien de dépendance) de recevoir des distributions en espèces libres d’impôts de la société en vertu d’un gain en capital imposable provenant d’une disposition d’actions antérieure effectuée par la société cédante.
Voici un exemple classique du type de planification fiscale axé sur le dépouillement de surplus que le projet de loi cherche à interdire :
Mme A, qui réside en Ontario, est propriétaire de toutes les actions émises et en circulation d’une société privée appelée Cie A. Mme A voudrait obtenir 50 000 $ de la part de la Cie A pour acheter une nouvelle voiture. Cie A pourrait lui verser cette somme sous la forme d’une prime ou d’un dividende imposable. L’impôt personnel dû (par Mme A) pour la prime pourrait être aussi élevé que 26 765 $ (taux d’imposition de 53,53 %) et pourrait même atteindre 22 650 $ dans le cas du dividende imposable. Il pourrait cependant descendre jusqu’à 13 382,50 $ si le taux inférieur utilisé pour les gains en capital (soit 26,765 %) est appliqué à la suite des opérations suivantes :
- Mme A vend des actions de la Cie A d’une valeur totale de 50 000 $ à son conjoint, M. A, en échange d’un billet à ordre. Mme A réalise ainsi un gain en capital de 50 000 $ et devra verser un impôt de 13 382,50 $ pour celui-ci. Elle n’a pas recours dans ce cas-ci à l’ECGC pour offrir un abri fiscal à ce gain en capital. Le coût de base aux fins de l’impôt des actions achetées par M. A est 50 000 $.
- M. A vend ensuite les actions achetées de la Cie A à A-Holdco, une société de capitaux dont il est propriétaire, en échange d’un billet à ordre de 50 000 $.
- A-Holdco peut régler le billet à ordre dû à M. A grâce à des dividendes libres d’impôts d’une valeur de 50 000 $ provenant de la Cie A. Autrement, la Cie A peut racheter à des fins d’annulation (pour un montant de 50 000 $) les actions vendues.
- M. A rembourse ensuite les 50 000 $ dus à Mme A (en vertu du billet à ordre) avec les fonds reçus d’A-Holdco.
Le contribuable arrive, grâce à ce plan, à convertir efficacement des fonds excédentaires d’une valeur de 50 000 $ (qui auraient autrement pu être versés comme une prime ou un dividende imposable) en un gain en capital assujetti de par sa nature à un taux d’imposition inférieur.
La conversion de revenus de sociétés en gains en capital devrait-elle donc être permise ? La jurisprudence canadienne a récemment confirmé que le dépouillement de surplus de société ne devrait pas, en général, être interprété comme un abus ou un mésusage des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le gouvernement a quand même pris la décision de freiner l’emploi de ce type de mécanisme de planification en élargissant le champ d’application de l’article 84.1.
La version modifiée de l’article 84.1 interdit clairement l’emploi (par un contribuable ou un particulier ayant un lien de dépendance) du coût de base des actions d’une société (ou d’actions utilisées comme substitut) pour des gains en capital réalisés dans le but de percevoir des distributions libres d’impôt de cette société. Le coût de base dit « plein » (hard cost base) est seul habilité à donner lieu à un recouvrement libre d’impôts personnels supplémentaires.
Lorsqu’une personne transfère les actions d’une société donnée à une société ayant un lien de dépendance, le coût de base de ces actions est désormais abaissé en fonction des gains en capital réalisés par le contribuable ou le particulier ayant un lien de dépendance. Le contribuable recevra ainsi un montant moins élevé pour la contrepartie non constituée d’actions (espèces ou billet à ordre) de la part de la société cessionnaire.
Si la nouvelle version de l’article 84.1 est appliquée à l’exemple ci-dessus, M. A percevra des dividendes imposables d’une valeur de 50 000 $ pour le transfert des actions la Cie A à A-Holdco et en contrepartie du billet à ordre de 50 000 $.
Transferts d’entreprises entre générations
Les modifications apportées à l’article 84.1 feront augmenter, entre autres conséquences, les coûts d’acquisition après impôt pour les enfants adultes qui souhaitent acheter les actions d’une société appartenant à un parent. Ce coût sera supérieur à celui généralement assumé par un acheteur sans lien de dépendance et aura pour conséquence de créer potentiellement un handicap concurrentiel pour l’enfant adulte et pour l’entreprise familiale acquise.
Les anciennes règles
En vertu des anciennes règles, un acheteur sans lien de dépendance pouvait constituer une société par actions et acheter les actions d’un particulier par l’entremise d’un billet à ordre émis par la société, puis régler le billet avec les revenus après impôts provenant de la société. L’emploi d’un billet à ordre lui revenait moins cher que l’utilisation de revenus après impôts personnels provenant de salaires ou des dividendes imposables.
Le concept est le mieux illustré par l’exemple suivant :
Un particulier résidant en Ontario est détenteur de toutes les actions d’Opco, une société privée. La valeur totale de ces actions est de 1 000 000 $. Si l’individu en question vend ces actions à Purchaso, une société sans lien de dépendance, en échange d’un billet à ordre de 1 000 000 $ il réalisera un gain en capital et aura à payer un impôt s’élevant à 267 650 $ (en supposant qu’il choisisse de ne pas utiliser son ECGC ou n’ait plus la possibilité d’en profiter).
Purchasco pourrait ensuite utiliser des dividendes libres d’impôts provenant des revenus après-impôts futurs d’Opco pour régler le billet à ordre. Les revenus nets d’Opco ne devront cependant pas dépasser 1 360 000 $ (ou 1 176 470 $ si Opco est assujettie au faible taux de 15 % imposé aux petites entreprises) pour permettre un déboursement de 1 000 000 $ en revenus après impôts aux fins de cette opération.
Les anciennes règles ne permettaient pas à l’enfant adulte d’un actionnaire d’utiliser les moyens d’une société pour acheter les actions du parent (en payant en espèces ou en échange d’un billet à ordre) dans le but ultime de l’aider à réaliser un gain en capital. Dans de tels cas, le gain en capital est recatégorisé comme un dividende réputé et assujetti à un taux d’imposition supérieur (39,34 % ou 45,30 % à la place de 26,77 %). Les anciennes règles permettent cependant à l’enfant adulte d’utiliser les revenus après impôts de la société pour financer l’achat.
Dans l’exemple ci-dessus, l’enfant adulte pourrait acheter personnellement les actions de son parent en échange d’un billet à ordre de 1 000 000 $. Le parent réaliserait, grâce à cette transaction, un gain en capital et aurait à payer un impôt de 267 650 $ (à condition de ne pas avoir recours à son ECGC). L’enfant adulte pourrait ensuite vendre les actions d’Opco à Holdco, une autre société, en échange d’un billet à ordre d’une valeur de 1 000 000 $. Holdco pourrait ensuite utiliser des dividendes libres d’impôt provenant des revenus après impôts futurs d’Opco pour régler le billet à ordre dû à l’enfant. Ce dernier utiliserait ensuite la somme pour régler le billet à ordre dû au parent.
Au même titre qu’une société acheteuse sans lien de dépendance, Opco ne pourra débourser 1 000 000 $ après impôts pour régler le billet à ordre dû au parent que si ses revenus (Opco) ne dépassent pas 1 360 500 $.
Le résultat semble juste, car ce type de planification permet de traiter l’enfant sur le même pied qu’une société acheteuse sans lien de dépendance, en ce qui concerne le coût après impôts du financement de l’achat des actions précédemment détenues par le parent. Mais, comme c’est souvent le cas, les amendements introduits par le gouvernement ont une si grande portée qu’ils affectent aussi (et de manière injuste) des stratégies de planification fiscale à caractère honnête.
Les nouvelles règles
Selon les nouvelles règles, le coût de base assumé par l’enfant adulte en vertu de l’article 84.1 sera abaissé en fonction du gain en capital réalisé par le parent. Ce coût sera basé sur un montant nominal plutôt que sur le montant de 1 000 000 $ payé au parent. En conséquence, la contrepartie non constituée d’actions (c.-à-d. le billet à ordre) ne pourra être reçue d’Holdco si l’enfant adulte ne reçoit pas un dividende imposable d’un montant égal à celui de la contrepartie.
Opco pourrait verser des dividendes libres d’impôts à Holdco ; cependant, Holdco devrait verser soit un salaire, soit un dividende imposable à l’enfant adulte pour lui permettre de réunir les fonds nécessaires au règlement du billet à ordre de 1 000 000 $ dû au parent. L’enfant adulte devrait percevoir un salaire brut global de 2 155 925 $ dans le premier cas. Opco serait appelé à réaliser des revenus de même envergure et à les dispenser sous forme de primes ou de salaires supplémentaires.
Autrement, Opco devrait percevoir des revenus nets avant impôts d’un total de 2 151 000 $ pour permettre à l’enfant de recevoir une somme totale de 1 828 350 $ en dividendes imposables. Ces dividendes fourniraient approximativement 1 000 000 $ en liquidités après impôts nécessaires au règlement du billet à ordre dû au parent. Cette stratégie part du principe qu’Opco est assujetti au faible taux (15 %) imposé sur le revenu annuel des entreprises exploitées activement. Si Opco est assujettie au taux plus élevé de 26,5 %, elle devra générer un revenu global de 2 243 158 $ pour pouvoir verser des dividendes imposables de 1 648 721 $ à l’enfant adulte et lui permettre de réunir (approximativement) les 1 000 000 $ après impôts nécessaires au règlement du billet à ordre dû au parent.
Qu’Opco ait à réaliser 2 151 000 $ ou 2 243 158 $ en bénéfices nets avant impôts ou à verser un salaire de 2 155 91 $ à l’enfant adulte (pour lui permettre de régler le prix d’achat dû au parent), ce dernier aura à assumer un coût très supérieur à 1 360 650 $ − le revenu qu’Opco aurait été appelée à générer pour permettre à une société acheteuse sans lien de dépendance de régler le prix d’achat.
Équité ?
Le gouvernement est en train de promouvoir les changements proposés dans le but de réinstaurer l’équité dans le système fiscal canadien et de s’assurer que tout le monde paie « sa juste part » en matière d’impôts. Les opposants se demandent cependant si c’est juste d’imposer à un enfant adulte un coût supérieur de 58 % à 65 % à celui imposé à une société acheteuse sans lien de dépendance pour l’achat des actions d’une entreprise familiale. Ils craignent notamment que cette hausse ne rende ces actions − transmises entre plusieurs générations dans certains cas — inabordables pour l’enfant.
Le gouvernement est toutefois à féliciter pour avoir sollicité l’avis des parties prenantes sur les mesures à adopter pour réduire les abus dont les dispositions de l’article 84.1 font actuellement l’objet tout en étant plus accueillant envers les transferts intergénérationnels véritables. Nous espérons que la version finale des modifications proposées aura un impact plus étroit, car cela permettra de créer un plus grand pied d’égalité entre le traitement des transferts d’entreprises entre générations et les transferts sans liens de dépendance.
Nous sommes au seuil d’un monde nouveau et complexe en ce qui concerne l’imposition des sociétés privées et de leurs actionnaires ainsi que des membres de leurs familles. Les propositions de juillet 2017 ainsi que les changements récents apportés à l’accès aux déductions accordées aux petites entreprises et à l’imposition des dividendes intersociétés rendront plus complexes les obligations des propriétaires-gestionnaires envers le système de l’impôt sur le revenu.
Les conseillers fiscaux de Collins Barrow peuvent vous aider à mieux appréhender ces nombreux changements et à vous conformer plus efficacement aux nouvelles règles.
Ross Cammalleri, CPA, CA occupe le poste d’associé au bureau de Vaughan de Collins Barrow.
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