
La Cour d’appel fédérale confirme le bien-fondé de l’application de la règle anti‑évitement dans la décision Foix
La Cour d’appel fédérale (CAF) a statué dans l’affaire Foix c. Le Roi (2023 CAF 38) que les distributions de fonds résultant de ventes hybrides devaient être assujetties à l’application du paragraphe 84(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), validant ainsi la décision de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) dans l’affaire Foix c. La Reine (2021 CCI 52).
Les contribuables concernés par l’affaire se sont vu refuser une déduction pour gains en capital sur le principe qu’ils n’avaient obtenu aucun gain en capital de la vente de leurs actions, le produit ayant été réputé un dividende par la cour.
Le paragraphe 84(2) de la LIR stipule nommément que lorsque des fonds ou des biens d’une société résidant au Canada ont été distribués ou autrement attribués, de quelque façon que ce soit, aux actionnaires ou au profit des actionnaires lors de la liquidation, de la cessation de l’exploitation ou de la réorganisation de son entreprise, le montant ou la valeur distribué ou attribué sera considéré comme un dividende, et par voie de conséquence, pas comme un gain en capital.
Même si les faits ne se sont pas déroulés de la même façon dans l’affaire Foix que dans une vente d’actions hybride conventionnelle, la décision de la CAF a une portée large et permettra d’évaluer des opérations « indirectes structurées, simultanées et interdépendantes » comme un tout dans le cadre du paragraphe 84(2)– une interprétation large qui risque de conduire à l’imposition de contribuables qui ont cessé d’être des actionnaires et qui sont devenus des créanciers pour des dividendes réputés et qui va dans le sens des décisions prises précédemment par la CAF dans le cadre du paragraphe 84(2), y compris dans l’affaire MacDonald c. R. (2013 CAF 110).
Les faits de l’affaire
Pour résumer, deux contribuables individuels – M. Foix et M. Souty –, ainsi qu’une fiducie familiale liée au second ont utilisé un procédé hybride pour la vente de leur entreprise constituée en société (la société W4N) ; la transaction impliquait la vente de certains des actifs commerciaux de W4N à l’acheteur (la société américaine EMC) et des actions de W4N à une entité séparée – EMC Canada, une filiale canadienne d’EMC. La vente hybride comprenait une série d’opérations complexes et a permis aux contribuables en question de recevoir des fonds de W4N de manière indirecte, à l’image des situations visées au paragraphe 84(2) de la LIR. Voici les principaux aspects de ces opérations, qui sont toutes survenues avant la vente des actions de W4N :
- La distribution des fonds de W4N a été facilitée par EMC et planifiée entièrement durant la réorganisation effectuée avant la clôture et appuyée par EMC ;
- W4N a été « appauvrie » par le versement de ces fonds ;
- W4N, Virtuose (la corporation de portefeuille chargée de la garde des actions de W4N pour M. Foix) et EMC Canada ont ensuite fusionné ;
- La société créée par ce regroupement n’a pas exploité son entreprise de la même manière que W4N et n’a pas repris non plus toutes les activités précédemment exercées par cette dernière, poussant le tribunal à conclure que W4N avait fait l’objet d’une réorganisation.
La décision de la CAF était fondée, dans l’affaire Foix, sur l’examen de ces trois questions principales, qui sont toutes centrées sur le paragraphe 84(2) :
- Les fonds ou les biens de W4N et de Virtuose ont-ils été distribués (ou autrement attribués) aux actionnaires ou pour leur profit ?
- Le paragraphe 84(2) a‑t‑il une portée suffisamment large pour contrer des distributions de cette nature ?
- La distribution ou l’attribution a‑t‑elle eu lieu durant la réorganisation ou après la fermeture de W4N et de Virtuose ?
La Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale se sont toutes deux appuyées sur la jurisprudence existante, y compris l’affaire MacDonald c. R. (2013 CAF 110), qui avait créé un précédent pour une interprétation large du paragraphe 84(2) et caractérisée par l’inclusion de distributions « indirectes » de fonds ou de biens (comme celles effectuées dans l’affaire Foix) dans la visée du paragraphe. Qui dit distribution de fonds ou de biens dit de plus appauvrissement de la société dispensatrice.
Dans l’affaire Foix, le tribunal a conclu que W4N s’était effectivement retrouvée appauvrie (même si les contribuables avaient fait valoir le contraire pour les sociétés concernées) en s’appuyant sur le fait que la dette représentée par le billet à ordre donné en contrepartie à W4N par EMC pour la vente des actifs était restée impayée, ce dernier ayant vraisemblablement utilisé les fonds pour rembourser le montant dû aux contribuables pour l’achat de leurs actions. Virtuose a aussi été appauvrie, la valeur de ses actions dépendant de celle des actions de W4N. L’appauvrissement de W4N et de Virtuose a ainsi validé, aux yeux du tribunal, la thèse de la distribution de fonds indirecte.
Il ne restait plus qu’à déterminer si W4N ou Virtuose avait fait l’objet d’une réorganisation ; au cas contraire, le paragraphe 84(2) n’aurait pu être appliqué. Le terme « réorganisation » n’est pas défini dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Et dans l’affaire Foix, les tribunaux l’ont interprété non du point de vue juridique, mais du point de vue commercial, qui présuppose la clôture d’une entreprise sous une forme et sa continuation sous une autre. Il se trouve que les activités de W4N ont été poursuivies par deux entités différentes après la vente : EMC et EMC Canada.
Le tribunal a ainsi conclu qu’une réorganisation avait bien eu lieu à W4N. Les arguments soulevés par les deux contribuables pour affirmer le contraire incluaient le fait qu’EMC et EMC Canada avaient repris les activités de W4N avec les mêmes employés, les mêmes bureaux, les mêmes contrats de service et d’entretien, les mêmes logiciels, les mêmes marchés, les mêmes revendeurs, les mêmes partenaires technologiques et les mêmes concurrents que leur prédécesseur. Le tribunal a maintenu sa position en se reposant sur le fait que les activités de W4N étaient maintenant poursuivies par deux personnes morales distinctes (EMC et EMC Canada), et même si le mode d’exploitation était plus ou moins resté le même.
Virtuose avait de plus cessé d’exercer sa seule fonction après la fusion, à savoir, la détention (en tant que société de portefeuille) des actions de W4N au nom de M. Foix. Raison de plus pour le paragraphe 84(2) d’être appliqué à la distribution de fonds effectuée par celle‑ci avant sa clôture.
Le paragraphe 84(2) étant une disposition anti‑évitement ouverte à une aussi large interprétation, la cour a reconnu en dernier lieu qu’il créera des incertitudes parmi les contribuables qui structureront (avec l’aide de facilitateurs externes) la vente de leur entreprise d’une manière à extraire des surplus en franchise d’impôt ou à un taux d’imposition inférieur. Le tribunal a aussi fait remarquer que « c’est le propre des dispositions anti‑évitement de soulever des interrogations dans la tête des contribuables qui essayeront d’en tester leurs limites », suggérant par la même occasion que le gouvernement souhaitait volontairement laisser planer de telles incertitudes.
La décision de la CAF a certes été prise dans le contexte d’un acte de vente hybride, mais il n’en demeure pas moins que les principes ayant conduit au jugement pourraient être appliqués à l’examen d’autres types de transactions, y compris aux transactions dites de « pipeline » (pipeline transactions) [des transactions caractérisées par l’extraction de surplus aux taux appliqués aux gains en capital]. Les contribuables qui effectueront des opérations visant à extraire des surplus de manière directe ou indirecte, ainsi que les praticiens qui les conseilleront, seraient bien avisés de tenir compte de cette décision juridique.