
La tourmente économique actuelle pourrait offrir des occasions en matière de planification fiscale, car les gens ont tendance à être opportunistes en temps de crise. Le ralentissement économique causé à l’heure actuelle par la pandémie de COVID-19 a notamment nui à la valeur de nombreuses entreprises canadiennes, ce qui veut dire que le moment est venu de jeter un nouveau coup d’œil aux gels successoraux effectués durant des années où l’économie était en plein essor.
Qu’est-ce qu’un gel successoral ?
Un gel successoral est une technique de planification successorale caractérisée par le gel de la valeur courante du capital social d’une société privée pour le compte d’une personne particulière (en règle générale, un parent). Si la société augmente en valeur dans les années qui suivent, l’augmentation est de plus accumulée en faveur d’autres personnes (p. ex., les enfants de ce parent ou une fiducie établie au profit de ces enfants).
Les gels successoraux sont généralement structurés de la manière qui suit :
- Le parent échange les actions ordinaires en sa possession contre des actions privilégiées à valeur fixe, avec droit de vote, et rachetables au gré de l’émetteur ou du porteur et conserve en ce faisant le contrôle de la société ; cette transaction est, de plus à imposition différée ;
- De nouvelles actions ordinaires sont émises et ces actions sont transmises aux enfants du parent ou à une fiducie établie à leur profit ;
- La valeur de rachat des actions privilégiées émises est égale à celle des actions ordinaires initiales au moment de l’échange.
Le procédé est aussi caractérisé par les suivants :
- Grâce à cet échange à imposition différée, le parent ne sera plus en mesure de bénéficier d’un éventuel accroissement de la valeur de l’entreprise.
- À son décès, le gain en capital éventuel sera moins conséquent, car assujetti à la valeur que les actions avaient au moment du gel.
Dans quelles circonstances un « regel » pourrait-il s’avérer nécessaire ?
Les gels successoraux sont parfois effectués à un moment où l’économie est en plein essor et où la valeur d’une société est élevée. Durant les périodes de ralentissement économique, la valeur de ces sociétés a cependant des chances de baisser et d’entraîner une situation où la valeur de rachat des actions privilégiées émises lors du gel est supérieure à la valeur marchande courante de la société ― la raison pour laquelle un « regel » pourrait s’avérer utile.
Plusieurs types de « regels »
Les regels peuvent être effectués de plusieurs manières. La méthode la plus courante consiste à demander au détenteur de ces actions privilégiées à valeur élevée de les échanger contre des actions privilégiées nouvelles dont la valeur de rachat fixe est égale à la valeur actuelle de la société (une valeur notamment inférieure à celle qu’elle avait avant la période de ralentissement). L’échange peut ici aussi être à imposition différée.
Les avantages d’un « regel »
Voici quelques-uns des avantages d’une opération de regel :
- Grâce au regel de la valeur des actions à un montant inférieur, les actionnaires auront moins d’impôts à payer au moment de la disposition réputée qui surviendra au décès du parent, si l’entreprise a repris de la valeur à ce moment-là.
- Le regel permettra aussi le versement de dividendes sur d’autres actions privilégiées ou d’autres actions ordinaires (des actions notamment soumises à des restrictions, vu les circonstances). La plupart des actions privilégiées émises dans le cadre d’un gel successoral sont assujetties à une disposition communément appelée « disposition anti-gêne » (non-impairment clause). Cette disposition interdit notamment que des dividendes soient versés sur les autres actions d’une société si le versement nuira à la capacité de rachat des actions privilégiées émises durant un gel. Le paiement de tels dividendes sera toutefois autorisé si des dividendes privilégiés nouveaux et de valeur inférieure sont émis dans le cadre d’un regel. Grâce à cela, les occasions de fractionnement de revenu seront aussi potentiellement améliorées (Remarque : les fractionnements de revenu effectués par le biais de structures d’entreprise seront toutefois soumis aux règles de l’impôt sur le revenu fractionné [IRF].)
- La revue à la baisse du prix des actions avant le décès du titulaire peut aussi empêcher l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) de contester la juste valeur marchande de l’entreprise lors de la vérification de la déclaration de revenus finale du défunt (le regel a effectivement pour effet de réinitialiser la valeur de rachat des actions privilégiées). La mise à jour est normalement officialisée par une résolution émise par les administrateurs.
L’ARC commencera probablement par présumer lors de ses vérifications que la valeur de rachat initiale des actions est égale à leur valeur marchande au moment du décès et fera gonfler la facture fiscale. Plutôt que de s’acharner à lui faire comprendre le contraire, il serait en fait plus avantageux de lui fournir une copie de cette résolution émise en toute bonne foi par les directeurs. Le regel permettra ainsi aux exécuteurs testamentaires et les conseillers du défunt d’éviter des conflits avec l’ARC.
- Un regel effectué avant une rupture matrimoniale (avec une revue à la baisse de la valeur des actions) peut également aider à éviter des disputes de cette nature avec l’ARC. Le procédé permettra notamment de réduire le montant des paiements de péréquation nets requis et épargnera au contribuable le souci additionnel de devoir réfuter l’assertion selon laquelle la valeur de rachat initial des actions est supérieure à leur valeur marchande au moment de la rupture.
Ce que l’ARC pense des regels
Dans le passé, l’ARC était d’avis que les regels pouvaient générer un avantage fiscal pour les actionnaires détenteurs d’actions ordinaires ou d’actions privilégiées affectées par le processus. Dans un document publié récemment (le 2010-0362321C6, qui est sorti le 8 juin 2010]), l’ARC a cependant revu sa politique administrative sur la question et apporté des éclaircissements.
Elle a notamment déclaré dans le document qu’aucun avantage fiscal n’est en fait généré pour les actionnaires, à moins que la diminution de la valeur de la société ne soit due à un « dégraissage d’actifs » et que la valeur des nouvelles actions privilégiées ne soit égale à celle que les anciennes actions privilégiées avaient au moment du regel.
L’ARC a cité deux exemples pour expliquer ce qu’elle entend par « dégraissage d’actifs de société » :
- Un versement de dividendes sur des actions ordinaires du capital social qui a la capacité de faire baisser la valeur des actions privilégiées émises durant un gel initial (en d’autres mots, un versement capable de contrevenir à la « disposition anti-gêne » que l’on retrouve typiquement dans le descriptif de la plupart des actions privilégiées émises durant un gel successoral) ;
- Le versement d’une prime ou d’un salaire au bénéficiaire d’un gel dans le cadre d’une vente d’actifs (par la société) postérieure au gel, si la prime ou le salaire ne sont pas proportionnels à la valeur des services rendus et des responsabilités assumées par le bénéficiaire.
Par conséquent, aucun avantage ne sera réputé survenir si les dividendes versés par une société n’affecteront pas de manière négative la valeur des actions privilégiées émises durant un premier gel et si la société dispose de suffisamment de bénéfices non distribués. Le risque que l’ARC présume que la baisse de valeur a été produite par le versement de dividendes sera cependant plus élevé si le regel est effectué peu de temps après ce dernier.
Les primes et les salaires ne devraient, de leur côté, pas avoir une incidence négative sur un regel effectué peu de temps après leur versement, à condition que ces rémunérations soient proportionnelles à la valeur des services rendus par le bénéficiaire.
En dernier lieu, il est fortement recommandé à tout détenteur d’actions privilégiées dont la valeur a baissé d’engager un expert en évaluation d’entreprise (EEE) pour confirmer la dépréciation (au cas où l’ARC tenterait d’affirmer le contraire après un examen rigoureux de l’exercice d’évaluation).
La pandémie de COVID-19 a entraîné un ralentissement économique important, qui a conduit à la dévaluation de nombreuses sociétés privées. Mais elle peut aussi fournir à certains une occasion de modifier des gels successoraux précédemment mis en place et de réduire en ce faisant ― et si les circonstances s’y prêtent ― leurs impôts futurs.
Les conseillers fiscaux de Baker Tilly peuvent vous aider à mieux comprendre les questions fiscales et non fiscales liées aux opérations de « regel » et à atteindre tous vos objectifs en matière de planification successorale.