
Nous l’entendons dire depuis des décennies : 30 % des entreprises familiales ne survivent que jusqu’à la deuxième génération et 10 % d’entre elles seulement arrivent à atteindre la troisième génération. Cette statistique est souvent citée hors contexte, car elle laisse autrement sous-entendre que les entreprises familiales sont les entités commerciales les plus vulnérables à l’échec. Cette hypothèse est cependant erronée, car les entreprises familiales faisant face à des problèmes de relève sont fondamentalement prospères, car elles ont été capables de rester suffisamment longtemps en affaires pour envisager une relève.
Selon Industrie Canada, 85 % des entreprises nouvellement apparues sur le marché arrivent à durer une année entière alors que 70 % d’entre elles arrivent à durer deux ans. De surcroît, 51 % d’entre elles arrivent même à franchir le cap des cinq ans. Étant donné qu’une génération équivaut généralement à 25 ans, il n’est pas déraisonnable de penser que les entreprises familiales affichent en fait des taux de réussite comparativement plus élevés que ceux des entreprises non familiales.
Alors, pourquoi les entreprises familiales éprouvent-elles des problèmes en matière de relève ? Au cours des 30 dernières années, divers établissements universitaires se sont penchés sur la question en menant un nombre considérable de recherches, la plus remarquée étant Factors Preventing Intra-Family Succession (2008) [Les obstacles à la succession intrafamiliale] de De Massis, Chua et Chrisman. Voici quelques-unes des questions abordées dans leur recherche.
L’attachement du fondateur à sa création
Les créateurs d’entreprises considèrent généralement leur entreprise comme une partie d’eux-mêmes, car l’identité de l’entreprise est souvent étroitement liée à la leur. L’incapacité du fondateur à « lâcher prise » risque dans de tels cas de nuire à l’épanouissement de la nouvelle équipe de direction et au succès de la relève. Nous avons tous entendu parler du fondateur octogénaire qui continue de participer activement à la gestion courante de son entreprise même après que son fils ou sa fille âgé(e) de 55 ans ait été nommé président ou PDG. Même si une telle entreprise pourrait être qualifiée d’entreprise de deuxième génération, ses chances de survivre jusqu’à la troisième sont presqu’inexistantes, car le président/PDG n’aura pas eu la chance de parfaire ses compétences en gestion ou de nouer des relations avec des fournisseurs ou des clients clés. Cette lacune deviendra, de surcroît, encore plus évidente au décès du fondateur.
Conflits entre les membres de la famille
Même si c’est parfois difficile à accomplir, les conflits entre les membres de la famille doivent être réduits au minimum, car l’harmonie familiale est l’un des facteurs les plus propices à la réussite d’une relève intrafamiliale. C’est en autres important de distinguer les conflits issus de la dynamique de l’entreprise de ceux issus de la dynamique familiale à proprement parler. L’impact des premiers peut être atténué par la mise en place de mécanismes de gouvernance plus formels comme les réunions régulières axées sur la divulgation de résultats financiers, des salaires/fonctions des employés familiaux ou des principales décisions stratégiques à tous les membres de famille.
Selon diverses recherches, les conflits entre les membres d’une fratrie sont plus susceptibles de survenir lorsque les frères ou sœurs font leur entrée (dans l’entreprise familiale) à des moments différents. Par exemple, lorsqu’un enfant plus âgé entre dans l’entreprise plus tôt qu’un autre membre de la fratrie, le premier est souvent tenté de se considérer comme le supérieur hiérarchique du second. L’une des stratégies pouvant atténuer ce risque consiste à faire entrer tout le monde au même moment, si cela s’avère possible. Une autre stratégie consiste à définir clairement les fonctions et responsabilités de chacun des enfants.
Les conflits découlant de la dynamique familiale régulière doivent donc être réduits au minimum (même si c’est plus facile à dire qu’à faire), car ils peuvent avoir un impact négatif sur le succès de la relève intrafamiliale — par exemple, en donnant lieu une situation où un membre de la famille refuse d’approuver la nomination d’un autre membre en tant que successeur et sans tenir compte des compétences de ce dernier.
La taille ou la performance de l’entreprise
Nous disposons de suffisamment de preuves pour suspecter un lien direct entre la taille ou la performance de l’entreprise familiale et la motivation de la génération suivante (la progéniture) à s’y joindre, une corrélation qui n’est pas sans générer des inquiétudes pour les entreprises familiales de deuxième génération en particulier. Les présidents/PDG de deuxième génération sont en l’occurrence nombreux à laisser prévaloir l’instinct de préservation sur le goût du risque (par rapport à leurs concurrents), car ils ne veulent pas mettre en danger l’entreprise bâtie par le(s) parent(s). Cette attitude peut cependant avoir des effets néfastes sur la performance à long terme de l’entreprise — et décourager la troisième génération à s’y joindre —, car elle empêche souvent la société de faire les placements/prendre les décisions stratégiques requis par les circonstances.
Pour résumer, cet article a pour but d’offrir une autre perspective sur la relève intrafamiliale afin d’aider la clientèle issue d’entreprises familiales à mieux cerner le sujet. Les questions soulevées ci-dessus ne sont qu’une modeste partie des facteurs susceptibles d’empêcher le transfert d’une entreprise familiale d’une génération à une autre. L’impact de bon nombre de ces facteurs peut cependant – et heureusement – être atténué bien avant l’entrée en vigueur de la relève intrafamiliale projetée et/ou imminente de la société.