
Les raisons pour lesquelles les avocats adjoints ne devraient pas quitter leurs cabinets
Mon travail consiste à aider les cabinets d’avocats à faire face à toutes sortes de problèmes, mais l’objet principal de mes conseils en 2022 était, sans l’ombre d’un doute, le mouvement incessant des avocats adjoints. Voici donc un article en deux parties sur la question. Je vais premièrement m’adresser aux avocats adjoints qui envisagent de quitter leur entreprise. Ensuite, j’expliquerai aux cabinets d’avocats comment créer les conditions qui encourageront leurs avocats adjoints à rester.
L’année dernière, j’ai écrit un article intitulé When Should You Leave (« Dans quelles circonstances serait‑il judicieux de partir ? ») pour Slaw, le magazine juridique publié en ligne au Canada, pour parler des circonstances pouvant justifier le passage d’avocats adjoints à d’autres cabinets. Je vais aujourd’hui parler des raisons pour lesquelles un avocat adjoint devrait rester dans son entreprise, parce que le mouvement des avocats adjoints a été franchement excessif, stimulé par les appels presque hebdomadaires de recruteurs promettant plus d’argent, de meilleures conditions de travail, etc. Je travaille avec des cabinets d’avocats affectés par ces départs et arrivées incessants et les retombées négatives du phénomène sur les carrières ne m’ont pas échappé. Ces va‑et‑vient constants finiront, à mon avis, par ralentir ou endommager de manière permanente la carrière des avocats adjoints concernés et les feront reculer de trois ans ou plus du point de vue de l’expérience, de l’acquisition de connaissances et de compétences juridiques et de leur ascension professionnelle.
Un sondage réalisé par la société Thomson Reuters en 2022 a pourtant fait ressortir que 68 % des avocats adjoints canadiens (dont 73 % sont âgés de moins de 40 ans) changeront possiblement (ou ont des chances de changer) de cabinet dans un avenir prévisible. Je ne pense pas qu’il s’agit là d’un problème de marché temporaire qui pourra être entièrement résolu par l’évolution de l’économie, mais d’un problème comportemental – et générationnel – plus large avec lequel nous devrons tous composer pendant un certain temps.
Les avocats adjoints se déplacent autant pour de nombreuses raisons :
La peur de passer à côté (FOMO – Fear of Missing Out)
Les recruteurs appellent tellement souvent les avocats adjoints pour leur faire des offres que les plus jeunes d’entre eux (les avocats) craignent de commettre une terrible erreur en restant. Si un changement de cabinet permettra à ces derniers de gagner 5 000 à 10 000 dollars de plus, pourquoi ne s’y risqueraient‑ils pas — et régulièrement – pour maximiser leurs revenus ? Certes, les départs constituent le moyen le plus rapide de gagner plus d’argent, mais ils ne sont qu’une solution à court terme et peuvent, à la longue, détruire une carrière. Ces avocats arriveront à un point où leurs exigences salariales entraîneront des attentes qu’il leur sera raisonnablement impossible de satisfaire. Leur attrait sera réduit à néant par l’échelle de salaire demandé et ils deviendront à terme des parias. Si un employeur constate d’un autre côté qu’un avocat adjoint a travaillé dans trois ou quatre cabinets différents au cours des huit années passées, il lui sera difficile de croire que c’était la faute des cabinets. Au lieu de s’inquiéter de la perte d’occasions financières immédiates, les avocats adjoints auraient donc intérêt à réfléchir aux moyens de remplir leurs objectifs professionnels globaux.
On ne vit qu’une fois (YOLO – You only live once)
Certains avocats semblent être guidés par cette philosophie, croyant qu’elle les rendra plus heureux au bout du compte. Les recherches effectuées sur le bonheur indiquent pourtant le contraire. Une surabondance de choix peut par exemple rendre l’intéressé encore plus indécis. Et l’hésitation à souscrire à une stratégie définie peut le rendre moins capable de nouer des relations propices à la création d’un sentiment d’appartenance (envers son entreprise) et de trouver des mentors, qui sont si importants pour la formation et l’avancée des avocats adjoints. Il a aussi été prouvé que les mouvements constants deviennent ennuyeux et rendent moins heureux à la longue. (Pour plus de détails, veuillez jeter un coup d’œil au balado du 16 octobre, qui est intitulé The Happiness Lab [« Le laboratoire du bonheur »])
Une carrière qui ne bouge pas
Ces difficultés sont imputables aux avocats adjoints eux‑mêmes (paradoxalement !), et en particulier à leurs départs incessants, qui sont en train de les priver de l’expérience et des connaissances nécessaires à leur avancée. Il faut au moins un an pour s’habituer à son nouveau cabinet (comprendre le fonctionnement du cabinet, apprendre à connaître ses futurs mentors et ses clients, se faire un nom sous la barrière du cabinet par le marketing, etc.) et se retrouver après un départ… si vous avez de la chance. En d’autres mots, chaque mouvement fera reculer votre carrière d’au moins un an.
En Colombie‑Britannique, certains avocats plaidants sont en train de changer de cabinet parce qu’ils ne veulent pas être cantonnés au traitement de dossiers précédant l’engagement de poursuites judiciaires, jugeant (à juste titre) que la pratique sera bientôt appelée à disparaître. Ils ne réalisent pas que cette tâche leur permettra d’un autre côté d’acquérir plus d’expérience dans la gestion des litiges que pratiquement tous les autres exercices, ce qui est vrai. Mais je blâme aussi les cabinets. Ces derniers devraient répartir le traitement de ces dossiers entre leurs avocats afin qu’aucun d’entre eux « n’y soit oublié » et les encourager à développer activement des compétences dans d’autres domaines juridiques.
Des inquiétudes au sujet du système de rémunération
Je sais par expérience que la grande majorité des avocats adjoints qui deviennent éventuellement des associés n’ont aucune idée de la manière dont les cabinets d’avocats fonctionnent. Il va de soi que la plupart d’entre eux ne savent généralement pas non plus comment leur propre entreprise fonctionne. Faites‑vous un devoir d’acquérir des connaissances dans ce domaine, car elles vous prépareront à devenir un associé (éventuellement) et vous aideront à mieux comprendre l’impact de votre propre salaire sur le budget de votre cabinet. Les avocats adjoints recrutés depuis de moins de cinq ans coûtent généralement plus à leur cabinet qu’ils ne lui rapportent. Pour contrecarrer les frais et accroître un tant soit peu les bénéfices du cabinet, les associés sont obligés dans ces circonstances de rapporter 2,5 fois plus que ce qu’ils gagnent. Et même s’ils y arrivent, il faudra aussi compter avec la formation des jeunes avocats, qui coûte encore plus. Ces derniers représentent vraiment un investissement à long terme, si vous tenez compte de tous ces facteurs nécessaires à une formation convenable dans leur secteur : la contribution des autres membres du personnel (des heures supplémentaires qui coûtent de l’argent), l’encadrement d’avocats chevronnés et la formation juridique permanente (en dehors des crédits requis par l’ordre des avocats).
C’est devenu populaire – en particulier dans les petites villes – de rémunérer les avocats adjoints par le partage des honoraires au lieu de salaires. La tendance est de 50‑50 de nos jours. À ce rythme (et compte tenu des honoraires typiquement perçus par les avocats adjoints débutants et des avocats adjoints de niveau intermédiaire), ils feront perdre de l’argent à leurs cabinets. (Cela pourrait changer si l’avocat rapportait régulièrement 600 000 $ par exemple, mais peu le font.) Il faut ajouter à cela le fait que certains cabinets ne fixent pas d’objectifs financiers pour leurs avocats adjoints. Si un avocat n’est, par exemple, aucunement gêné de gagner 78 000 $ par an, cela voudra dire qu’il est en train de coûter beaucoup d’argent à son cabinet. J’ai entendu des avocats adjoints remettre en question cette logique et dire que leurs cabinets ne les garderaient pas s’ils ne leur étaient pas profitables. Le fait est toutefois indéniable : les cabinets d’avocats ne font des profits que sur les avocats adjoints de niveau supérieur, les associés de niveau intermédiaire et les associés principaux. Les autres ont tous tendance à être un passif. Alors, pourquoi votre cabinet vous a‑t‑il embauché ? Parce qu’il s’est tout simplement engagé à fournir certains services à ses clients et a besoin de quelqu’un pour s’en occuper.
Le fait que les avocats ne sont pas tous rentables dans un cabinet est connu depuis longtemps. L’espoir est que l’avocat adjoint apprendra petit à petit son métier et deviendra un jour un atout financier pour l’entreprise… voire même un associé.
L’autre non‑dit est que les associés sont moins disposés à dorloter leurs avocats adjoints lorsque ceux‑ci sont excessivement rémunérés. On s’attend à ce que ces derniers fassent convenablement leur travail et dans les temps, qu’ils apprennent leur métier avec le moins d’encadrement possible, qu’ils fassent du marketing et trouvent de nouveaux clients là où ils peuvent. Ayant autant investi, le cabinet ne pourra s’en tirer que si les associés principaux travaillent plus dur. Ces derniers n’auront par conséquent pas le temps d’offrir le genre d’encadrement qu’ils ont probablement reçu à leur époque.
Un salaire plus élevé ou la répartition des honoraires incitera moins l’entreprise à vous soutenir et ne vous encouragera pas à travailler dur – c’est un fait. Des systèmes de rémunération fondés sur les réalités opérationnelles fourniront des paramètres raisonnables sur la quantité de travail à fournir et inciteront les intéressés à fournir un travail extraordinaire. J’ai un faible pour les régimes qui demandent que l’avocat adjoint rapporte deux fois et demie son salaire de base et proposent, en plus de cela, une répartition honorable des honoraires. De plus : l’objectif doit être raisonnable et doit être atteint. Si le salaire de base est excessivement élevé, il n’y aura raisonnablement aucun espoir qu’il puisse être atteint par l’avocat adjoint, ce qui est tout simplement décourageant.
Je ressens depuis longtemps que les cabinets devraient offrir un cours de base sur la gestion financière des cabinets à chacun de leurs avocats adjoints – afin de les aider à mieux comprendre leur entreprise et les choix que les associés sont appelés à faire et de mieux les préparer (ou non [voir ci‑dessous]) pour le poste éventuel d’associé. L’appréciation des avocats adjoints est un vrai sujet d’inquiétude dans le cas de nombreux cabinets, je le concède, mais l’argent n’est pas le seul responsable.
La peur d’être surmené et ne pas être suffisamment apprécié
Les avocats plus jeunes préfèrent de nos jours fournir entre 1 300 et 1 500 heures facturables par an. (En Amérique du Nord, la moyenne requise dans leur catégorie est de 1700 à 2300 heures). Au moins la moitié des avocats adjoints que j’ai rencontrés dans les cabinets de mes nombreux clients n’arrivent pas respecter leur quota chaque année. Et ils ne sont même pas disposés à travailler le soir ou les week‑ends pour essayer de se rattraper. Le problème réside dans le fait que les cabinets d’avocats planifient leur trésorerie en fonction de prévisions effectuées sur la productivité. Les quotas ne sont donc pas qu’une simple suggestion. Si vous ne respectez pas le vôtre, l’entreprise sera forcée de trouver un autre moyen de rester à flot. La solution est de créer un équilibre entre le salaire et le taux facturable de l’avocat adjoint. Si vous voulez par exemple toucher 250 000 $ par an tout en ne travaillant que 1 200 heures, vous devrez rapporter 625 000 $ en recettes facturées et souscrire à un taux horaire de 520 $. Et avant d’être admissible à une prime. Un cabinet qui permet à ses avocats adjoints de ne travailler que 1200 heures par an ne pourra s’en sortir que si, en haut de l’échelle, les associés principaux sont en train de facturer à des tarifs très élevés et de faire des heures très nombreuses.
Je pense toutefois que la crainte de ne pas être apprécié (en dehors des salaires et des primes) est fondée. La plupart des associés pourraient faire mieux lorsqu’il est question de reconnaître le travail de leurs avocats et leur personnel en général, de les remercier et de garder le moral du cabinet à un niveau élevé. On ne veut pas parler ici de remercier personnellement chacun des avocats adjoints qui ont pris la peine de venir. Mais ces derniers aiment vraiment qu’on le leur fasse savoir – et sans tarder – lorsqu’ils ont bien fait leur travail ou devraient s’améliorer. Lorsqu’ils disent qu’ils veulent se sentir appréciés (pas que sur le plan financier), ils veulent en d’autres mots qu’on se soucie d’eux. Chaque avocat adjoint (et membre du personnel) devrait honnêtement avoir cette impression.
D’autres parcours que celui menant au rang d’associé
C’est un fait connu que les avocats adjoints n’aspirent pas tous à devenir des associés. Nombre d’entre eux ne sont, en l’occurrence, pas prêts à travailler aussi dur ou à assumer un tel niveau de responsabilité ou de risque. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne pourront avoir une carrière durable, devenir importants pour leur entreprise, bien gagner leur vie ou aimer leur travail. Les entreprises ont donc intérêt à créer des alternatives formelles au parcours menant au poste d’associé, à s’assurer que leurs avocats adjoints en soient au courant et à encourager ces derniers à les poursuivre. Ils doivent aussi s’assurer que les avocats ayant choisi ces nouvelles filières sont satisfaits de l’arrangement, sinon, l’effort sera en vain.
L’absence de stratégie
Dans le sondage effectué par Thomson Reuters (voir plus haut), les avocats adjoints s’étaient aussi plaints d’un manque de vision, de stratégie et de leadership de la part de leurs cabinets. J’ai l’impression que les trois sont étroitement liés. On s’attend à ce que les dirigeants décrivent la vision de l’entreprise et lui fournissent des moyens de la réaliser. J’ai récemment travaillé avec un associé qui vient d’effectuer un transfert latéral dans un cabinet. La mise à jour d’un plan stratégique et opérationnel existant (au lieu de l’emploi d’un nouveau plan) par son ancienne entreprise l’avait convaincue de partir. Le nouveau cabinet l’avait attirée parce qu’il avait une vision ainsi que les moyens de matérialiser cette vision. Les avocats adjoints sont, de nos jours, nombreux à poser des questions sur le plan d’affaires ou de marketing de leurs employeurs potentiels lors d’entrevues d’emploi. Ils veulent notamment s’assurer que l’entreprise est le bon choix, qu’elle partage leurs valeurs et qu’ils pourront appuyer ses objectifs ultimes. Ils se rendent aussi compte qu’une entreprise qui n’a pas de plan d’affaires n’aura probablement pas non plus de plan pour appuyer la carrière de ses avocats adjoints. Alors, continuez à poser la question, car vous aiderez peut‑être à rendre la culture de l’entreprise concernée plus réfléchie et proactive.
Comme expliqué plus haut, les déplacements constants peuvent ralentir considérablement la carrière d’un avocat. Les avocats à la recherche de meilleurs horizons financiers auraient donc intérêt à chercher à la place des environnements plus disposés à soutenir leur croissance personnelle. Des endroits ayant par exemple un plan d’affaires et capables d’offrir de l’encadrement, du mentorat, un bon programme de formation, du soutien au marketing, etc. L’argent suivra certainement et ne fera qu’augmenter au fil des ans. La carrière de l’individu sera beaucoup plus satisfaisante et plus enrichissante dans son ensemble si les avantages susmentionnés ne sont pas non plus oubliés.
La plupart des avocats prennent leur métier au sérieux et veulent même y exceller. Mais vous ne serez jamais un nageur exceptionnel si vous est sans cesse en train de tâter le terrain et pas plus. Trouvez un endroit qui vous offrira un salaire acceptable ainsi qu’un programme de formation et de soutien robuste.
Je conseille à mes clients de veiller à ce que la rémunération soit équitable (c’est‑à‑dire, indexée à un taux de marché convenable) et de ne penser à l’argent que si leur premier besoin n’est pas satisfait. Quel est donc ce premier besoin ? Cela dépend de l’avocat. Parfois, ceux‑ci ne savent même pas ce qu’ils veulent ou n’ont aucune idée de leurs besoins, et feront de nouveau de l’argent leur principal souci. Mais celui‑ci ne restera pas toujours un bon motivateur. Plus d’un avocat est venu vers moi après dix ans de carrière, frustré. Ils m’ont confié que même si leur carrière avait été lucrative, elle s’était révélée différente de celle qu’ils avaient vraiment envisagée. Certes, les cabinets d’avocats embauchent principalement pour combler des vides, mais ils ne refuseront pas de soutenir des personnes qui ont une vision de carrière. Déterminez vos objectifs professionnels et réfléchissez à la manière de les atteindre. Expliquez ensuite à votre entreprise comment elle pourrait vous aider à atteindre votre but.
En dernier lieu, je voudrais parler des avantages intangibles qu’un véritable engagement envers votre cabinet pourrait vous apporter. Vous pouvez vous concentrer davantage sur votre réussite dans ce lieu si vous êtes vraiment disposé à rester. Les personnes qui s’engagent à suivre un parcours professionnel défini sont généralement plus déterminées. Ils forgent des liens qui leur conféreront un plus grand sentiment d’appartenance et nouent des relations avec des gens capables de mieux les conseiller et de les soutenir.
En résumé, les avocats adjoints et les cabinets d’avocats doivent travailler de concert pour créer des circonstances qui mettront fin à ces va‑et‑vient incessants et permettront aux premiers de tirer profit des avantages conférés par un meilleur engagement.
Comme dans la plupart des relations solides, l’effort doit venir des deux côtes.
Heather Gray‑Grant conjugue les fonctions de conseillère en stratégies commerciales, de spécialiste du marketing et d’accompagnatrice de gestionnaires et s’est mise au service de cabinets d’avocats et d’avocats. Vous pourrez la joindre à l’adresse suivante : heather@heathergraygrant.com. Cet article est apparu la première fois dans le magazine Slaw.