
Introduction
Dans notre dernier article, nous nous sommes penchés sur l’impact de l’IRC 965 (aussi connu sous le nom de « taxe de rapatriement » ou de « taxe de transition ») sur les citoyens américains résidant au Canada. L’IRC 965 a eu des retombées dramatiques pour les personnes touchées, les obligeant à choisir entre retarder la distribution de leurs bénéfices de sociétés et faire face à une double imposition rétroactive ou distribuer ces bénéfices plus tôt et accélérer, en ce faisant, le paiement de l’impôt des particuliers canadien. L’année 2017 a été marquée par l’adoption de la taxe de transition. L’année 2018 a elle été témoin de l’introduction d’un régime encore plus punitif : l’IRC 951A, aussi connu sous le nom de « GILTI »1 (Global intangible low-taxed income [« taxe sur les revenus globaux incorporels à faible taux d’imposition »]). Cet article fait le survol des règles du GILTI et de leurs implications tout en faisant le point sur les solutions de planification qui devraient être considérées par les personnes affectées.
Les règles de base
Les règles du GILTI ont été conçues pour « redonner sa grandeur à l’Amérique » (Make America Great Again) et décourager notamment les entreprises américaines de transférer leurs bénéfices vers des pays à faible imposition. Sous le régime du GILTI, ces bénéfices sont à l’heure actuelle imposés aux États-Unis et peuvent être rapatriés (ou distribués) au propriétaire américain concerné sans l’imposition de taxes américaines supplémentaires. Du point de vue des entreprises américaines (en particulier des grandes multinationales américaines), ces règles ont du sens, car elles encouragent les entreprises — l’objectif avoué du gouvernement américain — à soit rapatrier en Amérique des profits réalisés à l’étranger ou, mieux encore, à investir en Amérique.
Qui est soumis au GILTI ?
Ces règles s’appliquent aux citoyens américains, résidents ou entités basées au E-U (par exemple, des corporations) qui détiennent le statut d’actionnaire américain dans des corporations étrangères contrôlées (Controlled Foreign Corporations [CFC’s]) au cours de l’année. Une personne américaine doit posséder (ou être réputée posséder) 10 % ou plus des droits de vote combinés ou des parts de la société pour être considérée comme un actionnaire américain. En général, une corporation étrangère contrôlée est une corporation étrangère dont les droits de vote combinés ou les parts sont détenus à plus de 50 % par des actionnaires américains.
Quelles sont les implications du GILTI ?
En général, les revenus perçus par les corporations étrangères contrôlées (CEC) et assujettis au GILTI sont imposés directement aux actionnaires américains concernés en tant que revenus réguliers, qu’ils aient été distribués ou non. Le revenu assujetti au GILTI est généralement calculé de la manière suivante : le revenu provenant de l’exploitation active de la société moins un rendement admissible sur des actifs amortissables. Dans le cas des entreprises qui tirent leurs revenus de la vente de biens incorporels ou de services, le GILTI sera appliqué à pratiquement l’intégralité (100 %) des bénéfices. Les revenus de placement sont exonérés pour la plupart du GILTI (car ils ont déjà été attribués à l’actionnaire américain à titre de revenus de sous-partie F [Subpart F income]) ainsi que les revenus effectivement reliés2 (car déjà imposés aux États-Unis) et certains autres types de revenu.
Les règles du GILTI étant conçues pour restreindre sévèrement la conduite d’activités commerciales à l’étranger, les crédits pour impôt étranger (CIE) [foreign tax credits/FTCs] sont soumis à des restrictions supplémentaires importantes. Plus précisément, les revenus liés au GILTI sont traités dans une « corbeille » de CIE distincte. Les impôts étrangers imputés à ces revenus sont, de plus, les seuls à pouvoir être utilisés pour compenser l’impôt américain prélevé en vertu du GILTI. De surcroît, les impôts étrangers pris en compte par le GILTI ne peuvent être reportés en amont ou en aval. Par conséquent, toute planification effectuée au niveau des CIE dans le but de minimiser l’impact du GILTI doit être à jour et sans faille. Un alignement inadéquat de l’impôt étranger aux revenus assujettis au GILTI peut entraîner une double imposition importante.
Le GILTI est-il injuste envers les particuliers ?
Même si les législateurs américains avaient clairement à l’esprit les corporations américaines lors de la conception des règles du GILTI, ils étaient conscients que ces règles auraient des répercussions sur les citoyens américains individuels, y compris ceux vivant à l’étranger. Malgré cela, et probablement en raison du fol empressement des autorités à adopter le projet de loi sur la réforme fiscale, ils ont conçu les règles du GILTI d’une manière particulièrement injuste pour les citoyens américains résidant à l’étranger. C’est particulièrement vrai pour les citoyens américains résidant au Canada, étant donné que notre système fiscal intégré encourage l’utilisation de corporations pour reporter des impôts.
Même si les corporations américaines sont admissibles à une déduction égale à 50 % de la somme assujettie au GILTI, la réglementation ne permet vraisemblablement pas jusqu’à présent aux contribuables américains individuels de bénéficier d’une telle déduction. Même lorsque des personnes choisissent d’être imposées à titre de corporations américaines (voir le choix fiscal IRC 962 ci-dessous), elles ne semblent pas avoir droit à cette déduction lucrative de 50 %. Si c’était le cas, elles n’auraient aucun impôt américain à payer aussi longtemps que le taux imposé aux CEC au Canada est de 13 125 % au minimum (un pourcentage très proche du taux d’imposition des petites entreprises dans la plupart de nos provinces). Cet oubli apparent est très regrettable pour les citoyens américains résidant au Canada, car la déduction aurait permis l’élaboration de stratégies relativement aisées pour échapper au GILTI dans de nombreuses situations. Au moment de la rédaction de cet article, les législateurs ou l’IRS n’ont toujours pas donné de signes probants quant à la considération d’une solution législative à ce problème.
Et contrairement aux règles de la sous-partie F, les règles du GILTI ne prévoient aucune exemption pour des revenus assujettis à des impôts élevés. Si une telle exception était disponible — et si la CEC était assujettie à un taux d’imposition des sociétés égal à au moins 90 % du taux d’imposition des sociétés américain, qui est de 21 % (ce qui équivaut à 18,9 %) —, ces revenus ne seraient pas inclus dans le revenu de l’actionnaire américain. Si les législateurs étendent cette exemption au régime du GILTI, la majorité des grandes CEC canadiennes seraient exonérées de cette taxe (puisque la plupart d’entre elles sont soumises à un taux d’imposition des sociétés élevé au Canada [26,5 % à 31 %]) — une solution très logique, étant donné que le Canada est loin d’être un pays à faible imposition.
Le problème du blocage occasionné par l’IRC 965
L’IRS a régulièrement procuré des éclaircissements au sujet du GILTI au cours des derniers mois. Le dernier en date concerne la précision de l’ordre dans lequel les revenus et profits (earnings and profits [E & P]) doivent être distribués par les CEC. Faveur apparente aux corporations américaines soumises à IRC 965, l’IRS a indiqué que ces distributions proviendront d’abord de la corbeille d’E & P liée à l’IRC 965 de la CEC (considérée comme « déjà taxée », car soumise à l’impôt américain en vertu des règles de l’IRC 965) — une décision logique du point de vue des entreprises mais, une fois de plus, punitive pour les citoyens américains résidant au Canada. Par conséquent, ceux qui détiennent des E & P liés à l’IRC 965 (essentiellement, des bénéfices non distribués qui étaient déjà là le 31 décembre 2017) doivent distribuer l’intégralité de ces E & P (sous forme de dividendes) avant de pouvoir distribuer un quelconque E & P lié au GILTI. Cette disposition limite considérablement la capacité du contribuable à faire la part des choses entre le revenu assujetti au GILTI et l’impôt canadien payé sur la distribution finale. Si les E & P liés au GILTI sont distribués au cours d’une année autre que l’année où ils ont été réalisés, l’application de l’impôt étranger au dividende ne sera pas autorisée, car elle donnera lieu à un CIE et à une double imposition.
Planifier dans le but de minimiser les effets du GILTI
Les citoyens américains résidant au Canada qui sont soumis au GILTI devraient prendre ces règles très au sérieux. La non-gestion du GILTI durant une année donnée peut aboutir à des taux d’imposition combinés supérieurs à 86 % (combinaison de l’impôt canadien sur les bénéfices de sociétés, de l’impôt des particuliers américain prélevé en vertu du GILTI et, enfin, de l’impôt personnel canadien sur la distribution finale des bénéfices). Les législateurs doivent intervenir (ou redoubler d’efforts) et élaborer une mesure corrective, car il n’existe actuellement aucune solution miracle. Pour le moment, les contribuables doivent envisager toutes les solutions à leur portée pour en minimiser les effets. Vous trouverez ci-dessous certaines des stratégies que nous utilisons.
Distribution de primes
Certains propriétaires d’entreprises et professionnels constitués en société ont pris l’habitude d’extraire la plus grosse partie de leurs bénéfices commerciaux sur une base annuelle. Dans de tels cas, le moyen le plus facile de gérer le GILTI est de distribuer tout simplement les bénéfices (du moins, ceux ayant dépassé le rendement autorisé) sous forme de primes aux actionnaires. Il faut cependant veiller à ce que le salaire/la prime soit déductible à la fois au Canada et aux États-Unis. Bien que la distribution de primes ne soit pas nécessairement une stratégie du « tout ou rien », les revenus retenus et imposés au sein de l’entreprise risquent toujours d’être assujettis au GILTI. Même si elle est simple et directe, cette solution prendra vraiment de court les propriétaires d’entreprises habitués à laisser des bénéfices dans leurs entreprises dans le but de différer le paiement de sommes imposables importantes au Canada. La plupart d’entre eux seront donc tentés de trouver d’autres options.
Paiement de dividendes
Les dividendes et les crédits pour impôt étranger peuvent également être utilisés pour gérer l’impact du GILTI. Cette stratégie peut cependant s’avérer plus compliquée si la société détient des E & P soumis à l’IRC 965 (voir ci-dessus). Si aucun E & P de ce genre n’existe, le versement de dividendes au cours de l’année d’inclusion au GILTI (pour créer des CIE canadiens suffisants pour éliminer l’impact de l’impôt américain) pourrait être une stratégie viable. Cela ne vous laissera toutefois pas beaucoup de possibilités de report, car seul l’impôt des particuliers canadien sera admissible aux CIE.
Mise à profit de la sous-partie F
Certaines sociétés immobilières et professionnelles ont par le passé soutenu que leurs revenus ne pouvaient être considérés comme des revenus de sous-partie F pour les raisons suivantes : 1) dans le cas de sociétés immobilières, ce sont les actionnaires ou les employés eux-mêmes qui géraient activement les biens immobiliers 2) dans le cas des sociétés professionnelles, les revenus ne pouvaient être catégorisés de manière concluante comme des revenus provenant de l’offre de services personnels. Les contribuables ont cependant intérêt à remettre en question le raisonnement à la base de ces conclusions, car la sous-partie F est plus conviviale envers eux que le GILTI. L’un des avantages du régime de la sous-partie F par rapport à celui du GILTI est que les revenus soumis au premier sont généralement traités, soit dans la corbeille passive du CIE, soit dans sa corbeille de restriction générale. Les crédits d’impôt peuvent être reportés en amont ou en aval dans les deux cas, contrairement aux crédits accordés par le GILTI, ce qui offre beaucoup plus de flexibilité dans la gestion de l’exposition à l’impôt américain.
De plus, si le revenu de la CEC est assujetti à un impôt canadien sur les sociétés d’au moins 18,9 %, il pourrait être admissible à l’exception susmentionnée (celle notamment accordée dans les cas d’imposition élevée), ce qui éliminerait totalement les risques d’inclusion au régime du GILTI. II va cependant de soi que les détails ne doivent pas être sous-estimés. Cette stratégie comporte plusieurs nuances techniques, y compris pour la manière dont l’IRS percevra le paiement de taxes remboursables au Canada. La note pourrait, de plus, être particulièrement « salée » si jamais vous vous trompez, compte tenu du coût potentiel de la taxe transitoire de 86 %.
Le choix fiscal IRC 962
L’une des stratégies les plus attrayantes pour les contribuables comprend l’utilisation du choix fiscal IRC 962, qui permet notamment aux particuliers d’être imposés à titre de corporations américaines si tel est leur désir. La réforme fiscale américaine a considérablement réduit les taux d’imposition des sociétés en vigueur, ce qui signifie que ce choix pourrait faire passer le taux d’imposition du GILTI de 37 % à 21 % en cas d’inclusion. En choisissant cette option, le contribuable peut également réclamer un crédit pour impôt étranger pour 80 % des impôts de société versés par la CEC en vertu du GILTI. Dans certains cas, cela éliminera totalement l’impact de l’impôt américain. Toutefois, si la CEC réclame la déduction accordée aux petites entreprises, le taux d’imposition effectif pourrait être trop bas pour éliminer totalement ces taxes. Néanmoins, si la minimisation du fardeau fiscal de l’année en cours demeure une priorité, le choix IRC 962 s’avérera un outil puissant. Les distributions futures de revenus (sous forme de dividendes) généreront bien entendu, des revenus imposables au Canada et aux États-Unis, mais les CIE canadiens élimineront généralement l’impact de la taxe américaine (à l’exception de l’impôt sur les revenus de placement net [Net Investment Income Tax]).
Une amélioration à la stratégie visant à éliminer potentiellement et totalement les effets de l’impôt américain prélevé pour le GILTI consisterait à renoncer à la déduction accordée aux petites entreprises canadiennes, ce qui augmenterait suffisamment l’impôt canadien pour contrebalancer totalement l’impôt américain. La distribution de ces revenus serait ainsi soumise à un taux d’imposition de dividendes déterminés moins élevé. L’option paraît simple, mais n’est pas idéale. Il y aura premièrement des fuites fiscales, en raison de la restriction de 80 % imposée aux CIE. Deuxièmement, les provinces canadiennes sont nombreuses à adhérer au principe d’intégration négative (ce qui fait que les revenus de société imposés au taux maximal sont déjà victimes d’un désavantage fiscal en ce qui concerne les transferts). Néanmoins, si l’élimination de la double imposition (ou le refus catégorique de certains de payer l’impôt américain) demeure une priorité, cette stratégie s’avérera intéressante.
Sociétés à responsabilité illimitée
Certaines provinces (Nouvelle-Écosse, Alberta et Colombie-Britannique) sont dotées de législations relatives aux sociétés à responsabilité illimitée (SRI). Ces sociétés ne sont pas prises en compte par l’impôt américain, ce qui signifie que leurs revenus sont indissociables de ceux de leurs propriétaires. Ces entités ignorées ne sont pas des CEC et ne peuvent être soumises au GILTI. En raison de leur nature hybride (c’est-à-dire prises en compte au Canada, mais ignorées aux États-Unis), les SRI ont longtemps été utilisés comme des outils de planification pour les contribuables américains et sont sur le point de connaître une recrudescence en raison de leur efficacité à gérer les effets du GILTI. La solution SRI n’est malheureusement pas toujours réalisable, car la transformation d’une société à responsabilité limitée en une société à responsabilité limitée sera considérée comme une liquidation de l’autre côté de la frontière. Elles ne conviennent également pas à tous les besoins en raison de leur responsabilité illimitée.
Restructurations
Les citoyens américains résidant au Canada sont nombreux à se sentir perdus par rapport aux règles complexes qui régissent la conformité transfrontalière — une complexité historiquement frustrante et coûteuse pour les intéressés du point de vue des frais de conseil et de conformisation générés. La réforme fiscale américaine a non seulement accru — et de manière considérable — cette complexité, mais a également augmenté les chances d’accroissement (réelles) des coûts fiscaux sur le plan global. C’est la raison pour laquelle nombre de contribuables sont en train de réorganiser (par donation ou par d’autres moyens) leurs entreprises pour éviter d’être considérés comme des CEC. Ce type de planification nécessite cependant une extrême prudence, car les pièges fiscaux sont nombreux et variés.
Renonciations
Une autre solution apparemment rapide au problème du GILTI (et potentiellement à toutes les questions soulevées par le régime fiscal américain) serait de renoncer tout simplement à la citoyenneté américaine — une décision qui ne doit bien entendu pas être prise à la légère, pour de nombreuses raisons fiscales et non fiscales. Les contribuables et leurs conseillers devraient en conséquence examiner de près les règles d’expatriation en vigueur aux États-Unis (IRC 877A) ainsi que leurs retombées possibles. Pour plus de renseignements sur cette option, veuillez consulter l’article intitulé Planification d’expatriation des É.-U. – les tenants et aboutissants de l’IRC 877 A (publié également par Baker Tilly).
Naviguer les deux régimes fiscaux n’a jamais été chose facile pour les citoyens américains résidant au Canada et propriétaires de sociétés canadiennes. La réforme fiscale américaine a élevé la complexité du régime fiscal américain ainsi que le fardeau fiscal généré potentiellement par ce régime à des niveaux encore jamais atteints. Elle a également considérablement élargi le champ de revenus pouvant potentiellement être affecté par l’impôt américain. Avec l’introduction du GILTI, une planification fiscale appropriée est plus essentielle que jamais. Les contribuables sont vivement encouragés à faire confiance à des conseillers qui comprennent parfaitement les régimes fiscaux américain et canadien et peuvent élaborer des stratégies sur mesure pour éviter à leurs clients des impôts inutiles.
- NDLR: Par coïncidence (?), « GILTI » se prononce de la même manière que « guilty », qui veut dire « coupable » en anglais.
- Effectively Connected Income (ECI) en anglais.