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Déclaration de renseignements fiscaux pour fiducies : avocats, attention !

10 mars 2021

Le 27 juillet 2018, le ministère des Finances a proposé de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’obliger les fiducies à produire une déclaration de renseignements et de revenus (le formulaire T3) pour fournir certains renseignements prévus par règlement aux autorités. L’exigence vise en l’occurrence les fiducies non exonérées dont l’année d’imposition prendra fin après le 30 décembre 2021.

Le projet de loi permettra cependant à certains types de fiducies de déroger à cette règle, parmi lesquels, les comptes en fiducie d’avocat généraux (lawyers’ general trust accounts). L’alinéa (c) du paragraphe 150 (1,2) exclut notamment toute fiducie qui :

… est tenue, selon les règles pertinentes de conduite professionnelle ou des lois du Canada ou d’une province, de détenir des fonds aux fins de l’activité qui est réglementée en vertu de ces règles ou de ces lois, pourvu que la fiducie ne soit pas tenue comme une fiducie distincte pour un ou plusieurs clients donnés ;

L’exception n’est donc pas applicable aux comptes en fiducie qui ont été créés pour des clients particuliers et qui sont tenus séparément. Le ministère des Finances a fait expressément référence aux comptes en fiducie d’avocats dans ses notes explicatives lorsqu’il a souligné que l’exception ne s’appliquerait qu’aux comptes en fiducie d’avocat généraux : « Cette exception n’est applicable qu’aux comptes en fiducie d’avocat généraux et non à des comptes-clients particuliers. »

Le 10 septembre 2018, le Comité mixte sur la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et des Comptables professionnels agréés du Canada (Joint Committee on Taxation of the Canadian Bar Association and Chartered Professional Accountants of Canada) a présenté un mémoire au directeur général de la Direction de la politique de l’impôt du ministère des Finances au sujet des comptes en fiducie d’avocat séparés qui sont ouverts pour des clients particuliers. Le comité a fait la recommandation suivante (voir l’annexe pour un extrait) :

Nous recommandons de ce fait que l’alinéa 150 (1,2) (c) soit modifié dans le but spécifique d’exonérer de cette obligation de dépôt toute fiducie gérée conformément aux règles de déontologie en vigueur dans ces professions par un avocat ou un notaire.

Le projet de loi n’avait pas encore reçu la sanction royale à la parution de cette alerte et pourrait toujours être amendé par le ministère des Finances. Espérons que la proposition mise à l’avant dans le mémoire du comité mixte sera adoptée.

Si ce n’est pas le cas, les comptes de fiducies d’avocat créés pour un ou plusieurs clients particuliers pourraient ne pas être considérés comme des fiducies ordinaires et être ainsi classés comme des fiducies nues (bare trusts) ou des comptes relevant d’une relation de mandataire (agency relationship). L’Agence du revenu du Canada (ARC) utilise généralement ces critères pour identifier les fiducies nues :

  • Le fiduciaire n’a pas de pouvoirs ou de responsabilités importantes et ne peut prendre absolument aucune mesure au sujet de la fiducie sans l’autorisation du constituant ;
  • Le fiduciaire a pour seule fonction de détenir le titre de propriété légitime du bien et
  • Le constituant est le seul bénéficiaire et peut demander à tout moment que le bien lui soit retourné.

Et l’ARC est d’avis qu’il y a relation de mandataire lorsque :

  • Le fiduciaire n’a pas de pouvoirs ou de responsabilités importantes ;
  • Le fiduciaire ne peut prendre aucune mesure sans l’autorisation du constituant ;
  • Le fiduciaire a pour seule fonction de détenir le titre de propriété légitime du biens1.

Aucune de ces deux catégories n’est considérée comme une fiducie par la Loi de l’impôt sur le revenu, ce qui les dégage de toute obligation de production ou de déclaration. L’ARC déterminera au cas par cas si un compte doit être considéré comme une fiducie nue ou un compte relevant d’une relation de mandataire, un exercice qui sera vraisemblablement marqué par une bonne dose de subjectivité.

Le projet de loi préconise d’exonérer uniquement les comptes de fiducies d’avocat généraux des obligations de production et de déclaration. Si le ministère des Finances refuse de modifier cette législation pour exonérer également d’autres types de comptes, il faudra déterminer si ces comptes doivent être considérés comme des fiducies nues ou des fiducies relevant d’une relation de mandataire.

Et si la production d’une déclaration T3 s’avère nécessaire pour un compte en fiducie créé pour un client particulier, il serait prudent d’anticiper les sommes à débourser pour le respect de cette législation (afin d’assurer la présence des fonds nécessaires dans la fiducie le moment venu).

Veuillez consulter votre conseiller attitré auprès de Baker Tilly pour prendre connaissance des étapes qui suivront.
 

ANNEXE

Extrait de la lettre adressée à Brian Ernewein, le directeur général de la Direction de la politique de l’impôt du ministère des Finances, par le Comité mixte sur la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et des Comptables professionnels agréés du Canada

Comptes en fiducie d’avocats

L’alinéa 150 (1,2) (c) exonère de l’obligation déclarative toute fiducie « tenue, selon les règles pertinentes de conduite professionnelle ou des lois du Canada ou d’une province, de détenir des fonds aux fins de l’activité qui est réglementée en vertu de ces règles ou de ces lois, pourvu que la fiducie ne soit pas tenue comme une fiducie distincte pour un ou plusieurs clients donnés ».

La disposition semble vouloir donner corps à la proposition du budget de 2018 visant à exonérer les « comptes en fiducie d’avocats généraux » et pourrait même se permettre d’aller plus loin et d’inclure des accords de même nature impliquant d’autres catégories de professionnels, dont les notaires et les courtiers immobiliers.

Nous sommes toutefois extrêmement préoccupés par le fait que la disposition restrictive exigeant le dépôt de déclarations de fiducie pour les comptes en fiducie d’avocats et de notaires tenus pour des clients distincts. À première vue, la nouvelle disposition semble exiger que tout avocat ou notaire détenant des fonds dans un compte en fiducie créé pour un client particulier (et non dans le cadre d’un arrangement conclu depuis moins de trois mois2 ou dans le cadre d’un arrangement relevant de l’établissement d’une fiducie nue3) produise une déclaration de revenus pour divulguer, entre autres choses, le nom du client et le montant détenu en fiducie ― une obligation de divulgation manifestement contraire à ce principe fondamental qu’est le secret professionnel de l’avocat.

Cette exigence est contre-indiquée et ne devrait pas être adoptée sous sa forme courante, car elle ne respecte pas ce principe et nuit à son maintien. En ce faisant, elle soulève aussi des questions juridiques et constitutionnelles fondamentales.

La Cour suprême du Canada s’est récemment penchée sur l’impact de ces lourdes obligations de divulgation sur les clients des avocats et notaires concernés, et notamment dans l’affaire de la Chambre des notaires du Québec4. Dans cette affaire, la Cour a procédé à une interprétation conciliatrice (read down) du paragraphe 232 (1) et de l’article 231,7 et déclaré que ceux-ci ne pouvaient être appliqués aux avocats et aux notaires en leur qualité de conseillers juridiques. La Cour a aussi invalidé l’exception dite des « relevés comptables » contenue dans ces dispositions, estimant qu’elle portait atteinte au secret professionnel de l’avocat et ne pouvait de ce fait être justifiée sur le plan constitutionnel. La Cour a statué que « lorsque l’intérêt en jeu est le secret professionnel du conseiller juridique ― un principe de justice fondamental et de droit de la plus haute importance ― l’exercice d’évaluation habituellement entrepris au regard de l’art. 8 [de la Charte des droits] ne s’avérera pas particulièrement utile » [soulignement ajouté]. Ce privilège devait au contraire être protégé et de manière très claire.

La Cour a de plus déclaré dans les motifs de l’arrêt de l’affaire de la Chambre des notaires (par. 74) :

… il importe de rappeler que les relevés comptables qui contiennent de l’information relative aux sommes reçues par un notaire ou un avocat et celles qui lui sont dues risquent de contenir le nom de clients. Dans certains cas, les noms des clients peuvent être privilégiés, car le fait qu’une personne ait consulté un notaire ou un avocat peut révéler d’autres informations confidentielles sur sa vie personnelle ou ses problèmes juridiques.

Dans certaines circonstances, les propositions pourraient notamment contraindre un avocat ou un notaire à produire une déclaration de revenus pour un compte en fiducie établi pour un client particulier et à divulguer entre autres, le nom de ce client et le montant reçu de lui ― une divulgation qui va à l’encontre des attentes raisonnables du client en ce qui concerne la confidentialité de ses relations avec l’avocat. Au vu des principes énoncés par la Cour dans l’affaire Chambre des notaires, toute loi portant ainsi atteinte au droit à la confidentialité pourrait être annulée par un tribunal, de la même manière que l’exception relative aux relevés comptables (du paragraphe 232 [1] et de l’article 231,7) a été déclarée non constitutionnelle et sans force ni effet par la Cour suprême du Canada.

Nous noterons également que les chances sont extrêmement faibles que les comptes en fiducie d’avocats soient utilisés d’une manière à gêner la mise en œuvre de cette loi par l’ARC. Les règles de déontologie des avocats et les législations provinciales régissant la pratique du droit5 réglementent strictement l’emploi des comptes en fiducie des avocats. Les règles de déontologie du Barreau de l’Ontario stipulent par exemple qu’un avocat ne doit pas utiliser « son compte en fiducie à des fins qui ne sont pas liées à la prestation de services juridiques »6. Il est de plus énoncé dans les commentaires rattachés à cette règle :

Un client ou une autre personne peut tenter d’utiliser le compte en fiducie d’un avocat à des fins illégitimes, comme pour cacher ou blanchir des fonds, ou encore comme abri fiscal. Ces situations soulignent le fait que lorsqu’un avocat gère des fonds en fiducie, il doit être conscient de ses obligations en vertu des présentes règles et des règlements administratifs du Barreau qui portent sur la gestion des fonds en fiducie7.

Les comptes en fiducie d’avocat ne peuvent être utilisés que dans le cadre des services juridiques offerts par les avocats. Ce serait une violation des règles (pour un avocat) que d’utiliser un compte en fiducie de toute autre manière ou à toute autre fin. Tout avocat qui autorise l’utilisation de son compte en fiducie dans le cadre d’infractions à la législation fiscale peut être sanctionné par le Barreau, voire radié. Il est aussi raisonnable de s’attendre à ce que les avocats respectent les règles de déontologie auxquelles ils sont assujettis et ne permettent pas que leurs comptes en fiducie soient utilisés pour aider des clients à se soustraire à leurs obligations fiscales. Dans la pratique, l’exonération de tous les types de comptes en fiducie d’avocats et de notaires ne saurait non plus gêner la capacité physique de l’ARC à mettre en œuvre cette Loi. Cette exonération est conforme même au bon sens, compte tenu de l’importance constitutionnelle de protéger ce principe juridique « de suprême importance » ― le secret professionnel liant l’avocat à son client.

Nous recommandons de ce fait que l’alinéa 150 (1,2) (c) soit modifié dans le but spécifique d’exonérer de cette obligation de dépôt toute fiducie gérée ― conformément aux règles de déontologie en vigueur dans ces professions ― par un avocat ou un notaire.


  1. 2012-0435641C6 — Question 6 de la table ronde CALU-ARC (mai 2012).
  2. Le paragraphe 150 (1,2) (a) du projet de loi.
  3. Le paragraphe 104 (1). Même si dans de nombreux cas, les fonds détenus en fiducie par un avocat ou un notaire peuvent l’être sous la forme d’une fiducie nue.
  4. 2016 DTC 5067. L’affaire concernait notamment le régime des « exigences » promulguées aux articles 232 et 231,7.
  5. En Ontario, par exemple, le règlement 9 du Barreau de l’Ontario fournit des règles détaillées sur les comptes en fiducie d’avocats.
  6. Articles 3,2 – 7,3
  7. Le commentaire de la règle 3,2-7.

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