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Le budget fédéral de 2022 (publié le 7 avril de cette année) contenait des propositions visant à modifier la Règle générale anti-évitement (« RGAÉ »). Ces propositions avaient pour but d’accroître la portée de cette disposition et de la rendre applicable aux situations où des attributs fiscaux sont créés, préservés ou majorés, mais pas immédiatement mis à profit1. Le gouvernement a en même temps annoncé (dans un avis de motion de voies et moyens2) les changements qui seront apportés à la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la « Loi ») pour mettre en œuvre cette mesure budgétaire.

Contexte

Comme expliqué dans l’article 245 de la Loi, la RGAÉ a pour but d’empêcher l’emploi d’opérations (ou d’arrangements) d’évitement fiscal abusives et non de modifier ou d’interférer avec des transactions commerciales légitimes.

Sous la législation actuelle, et conformément aux directives fournies par la Cour suprême du Canada dans le cadre de l’affaire Canada Trustco3, la RGAÉ ne peut faire opposition à une transaction fiscale que si ces trois critères sont satisfaits, et dans le même ordre :

  1. Un avantage fiscal a-t-il été créé ?
  2. La transaction (ou la série de transactions) constitue-t-elle une opération d’évitement ?
  3. Y a-t-il eu abus dans l’application des dispositions fiscales invoquées pour l’obtention de cet avantage ou de la Loi dans son ensemble ?

Si la RGAÉ est applicable, les « conséquences fiscales » (pour le contribuable) seront déterminées de manière raisonnable dans le but de refuser l’emploi de l’avantage fiscal créé. Pour ce faire, l’Agence du revenu du Canada (ARC) calculera, le cas échéant, le montant de l’attribut fiscal concerné et émettra un avis de détermination conformément au paragraphe 152 (1.11).

L’affaire Wild4 a fourni les éclaircissements qui suivent au sujet de la création, de la préservation et de la majoration d’attributs fiscaux et de la détermination d’avantages fiscaux :

Dans l’affaire Wild, un individu avait notamment utilisé l’exemption pour gains en capital à laquelle il avait droit pour effectuer des transactions qui avaient augmenté, en franchise d’impôt, le capital versé (paid-up capital) et le prix de base rajusté (adjusted cost base) de certaines actions. La personne n’avait toutefois pas tiré immédiatement profit de l’augmentation de ce capital versé (CV) et avait conservé ce dernier pour de futurs exercices de planification fiscale. Le ministre avait soumis le contribuable à une (nouvelle) cotisation au titre de la RGAÉ dans le but de faire baisser le CV de ces actions. Le contribuable avait fait appel contre le résultat de la cotisation à la Cour canadienne de l’impôt, mais l’appel avait été rejeté. Il avait ensuite fait appel à la Cour d’appel fédérale (CAF) et avait cette fois-ci été accueilli favorablement (la CAF ayant infirmé la décision de la première cour). La CAF était d’avis que même si le projet de réorganisation avait modifié les attributs fiscaux des actions concernées et créé la possibilité d’une distribution libre d’impôt, le particulier ne pouvait être accusé d’avoir appliqué la Loi à mauvais escient ou de manière abusive, car il n’avait pas encore tiré profit de cette possibilité. Même si le CV des actions avait augmenté, cette augmentation ne pouvait ainsi être considérée comme un avantage fiscal aux yeux de la RGAÉ tant que cette distribution libre d’impôts ne s’était pas matérialisée.

La CAF a donc statué que si un contribuable n’a pas encore tiré profit de la majoration d’un attribut fiscal, cette majoration ne devait pas être considérée comme un avantage fiscal aux yeux de la RGAÉ — un point de vue qui a été maintenu dans les cas qui ont suivi, comme l’affaire Rogers Enterprises (2015) Inc5 et l’affaire Gladwin Realty Corporation6.

Le gouvernement était toutefois d’avis que ces décisions judiciaires allaient à l’encontre de la politique sous-jacente de la RGAÉ et accroîtraient les incertitudes des contribuables et de l’ARC, car ceux-ci seraient appelés à attendre encore plus d’années pour découvrir les conséquences fiscales des transactions visées.

C’est pour répondre aux inquiétudes suscitées par l’affaire Wild et les autres cas cités ci-dessus que le gouvernement a proposé d’apporter des modifications législatives à la RGAÉ.

Les dispositions des modifications législatives proposées

Lorsque la RGAÉ est applicable à une transaction, la Loi fournit à l’ARC toute une série de règles pour l’aider à déterminer le montant de l’attribut fiscal à prendre en compte dans le calcul de l’impôt — une procédure effectuée au moyen d’un avis de détermination (un document assujetti aux droits d’opposition et d’appel du contribuable tout comme un avis d’imposition) et en vertu du paragraphe 152 (1.11). Ces règles ont pour objectif de rendre le verdict de l’ARC juridiquement contraignant pour le contribuable et l’ARC elle-même7 lorsque les montants identifiés deviendront pertinents pour le calcul de l’impôt.

Mais la démarche n’est pas sans présenter un obstacle : comme la Cour l’a fait ressortir dans les jugements susmentionnés, l’ARC ne pourra plus tard tenir compte de l’attribut fiscal concerné dans le calcul de l’impôt si « l’avantage fiscal » (tel que ce terme est défini au paragraphe 245 [1] de la Loi) créé par la transaction ne se matérialise pas. Autrement dit, l’ARC ne sera pas capable de tenir compte de l’attribut fiscal en temps réel et devra attendre que celui-ci soit utilisé dans une transaction et que l’avantage fiscal se concrétise.

Pour remédier à cet inconvénient, le ministère des Finances a ainsi proposé de modifier, à compter du 7 avril 2022, la définition des termes « avantage fiscal » (tax benefit) 8 et « attribut fiscal » (tax consequences) 9 au paragraphe 245 (1) et d’amender le paragraphe 152 (1.11)10 [« Détermination selon le par. 245 (2)] de la Loi.

La nouvelle législation permettra dorénavant d’ajuster en temps réel des attributs fiscaux qui pourraient plus tard s’avérer pertinents pour le calcul de l’impôt (au lieu d’attendre que ces attributs soient utilisés dans des transactions imposables.)

La législation actuelle ne permet à l’ARC d’effectuer une cotisation en vertu de la RGAE que dans l’année où l’attribut fiscal créé par l’opération d’évitement abusif est mis à profit. Dans l’affaire Wild, par exemple, l’ARC ne pouvait vraisemblablement traiter le rendement du CV comme un dividende imposable que dans l’année où ce rendement avait été distribué.

Dans cet exemple, la nouvelle législation aurait par contre permis à l’ARC d’appliquer la RGAÉ dans l’année où le CV avait été créé et de ramener la valeur de ce CV à la valeur détenue avant la procédure de réorganisation (en d’autres mots, de réduire l’étendue de cet attribut fiscal).

Application rétroactive des modifications législatives 

Les modifications législatives seront appliquées à la fois de manière prospective et rétrospective et viseront les transactions effectuées le 7 avril 2022 ou après. Les transactions effectuées avant le 7 avril pourraient aussi être visées si des avis de détermination sont émis en vertu du paragraphe 152 (1.11) après cette date.

Les transactions passées qui ont créé ou augmenté la valeur d’un attribut fiscal dont on n’a pas encore tiré profit pourraient aussi être assujetties à une cotisation le 7 avril 2022 ou après dans le but de réexaminer l’attribut. Les transactions suivant une méthode de planification de type Triad-Gestco sont par exemple exposées à ce risque11 (en d’autres mots, les attributs fiscaux créés par ce genre de planification pourraient faire l’objet d’un examen au titre de la RGAÉ le 7 avril 2022 ou après, même si ces attributs n’ont pas encore été utilisés).

Vous trouverez ci-dessous un exemple de la manière dont les modifications proposées pour la RGAÉ pourraient être appliquées à des transactions réalisées dans le passé.

(Nous prendrons comme exemple une société fictive appelée « Holdo » et sa subsidiaire [« Subco »].)

  • En 2004, Holdco entreprend un projet de réorganisation qui aboutit à la création de Subco. Holdco vend ensuite des biens immobiliers considérables à Subco sur une base imposable ;
  • Les terrains sont vendus à un prix accru à Subco (dix millions de dollars, alors qu’ils avaient coûté deux millions de dollars à Holdco) ;
  • Holdco entreprend des transactions connexes pour mettre à l’abri (sur le plan fiscal) le gain en capital réalisé sur cette vente.
  • Holdco observe pleinement ses devoirs fiscaux (obligations de déclaration comprises) pour l’année d’imposition 2004. Aucun impôt n’est toutefois payé pour le gain en capital réalisé sur les terrains vendus à Subco.
  • Des contribuables non liés à la société ont effectué des transactions similaires à celle réalisée par Holdco et Subco et ont été assujettis à la RGAÉ dans les années qui ont suivi.
  • L’année d’imposition 2004 de Holdco et de Subco est frappée de prescription (statute-barred).
  • En 2021, Subco vend 50 % de ses avoirs fonciers et réalise un gain en capital égal au produit de la vente moins 50 % du coût majoré provenant de la transaction effectuée en 2004. Subco déclare comme il se doit ce gain en capital aux autorités fiscales.
  • Les biens fonciers restants (50 %) ainsi que la portion inutilisée du coût majoré demeurent des actifs de Subco.
  • En 2023, Subco est soumis à un audit par l’ARC, qui lui demande de fournir des informations pouvant justifier le coût des terrains vendus en 2021.
  • Subco divulgue les transactions susmentionnées à l’ARC afin de justifier le prix de base de ces terrains.

Avant la proposition des amendements discutés ci-dessus, l’ARC pouvait vraisemblablement appliquer la RGAÉ et déterminer le coût des terrains vendus en 2021, même si les transactions effectuées en 2004 (qui avaient notamment fait augmenter le coût de ces terrains) étaient frappées de prescription. Il semblerait toutefois qu’elle ne pouvait déterminer, en vertu de la RGAÉ, le coût des terres restées entre les mains de Subco et devait attendre que cette dernière les vende.

Les modifications législatives permettraient dans cet exemple à l’ARC d’émettre un avis de détermination sur le coût de toutes les terres et à tout moment à compter du 7 avril 2022 et de ne pas attendre que les terres restantes soient vendues.

Conclusion

Les changements proposés au RGAÉ ont pour but d’offrir plus de certitude aux contribuables et à l’ARC et d’accroître, le cas échéant, l’efficacité de cette dernière. La législation actuelle ne permet pas à l’ARC d’émettre des avis de détermination en vertu de la RGAÉ tant que l’attribut fiscal créé/majoré ou préservé à la suite de l’opération d’évitement n’a pas été mis à profit. L’ARC est ainsi obligée de suivre ou de surveiller le contribuable pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que l’attribut fiscal soit notamment utilisé, ce qui est peu pratique et constitue un gaspillage de ressources. Grâce à ces modifications, les attributs fiscaux pourront désormais être examinés en temps réel par l’ARC dans le cadre de la RGAÉ.


  1. Ces attributs fiscaux peuvent inclure : le capital versé des actions, le coût ou le prix de base rajusté (PBR) des biens, la fraction non amortie du coût en capital (FNACC) des biens amortissables et le compte de dividendes en capital (CDC).
  2. L’avis de motion de voies et moyens du 7 avril 2022.
  3. Affaire Canada Trustco Mortgage Co c. R, 2005 CSC 54
  4. Affaire 1245989 Alberta Ltd c. le Canada (le procureur général), 2018 CAF 114 (Wild).
  5. Affaire Rogers Enterprises (2015) Inc c. R, 2020 TCC92. Dans l’affaire Rogers, la Cour canadienne de l’impôt avait fait ressortir la nature ambiguë de la définition fournie au paragraphe 245 (1) de la Loi pour le terme « avantage fiscal » et l’avait comprise comme suit : « un remboursement d’impôt ou le remboursement d’un autre montant en vertu de la Loi » (confirmant que la définition ne pouvait, telle qu’énoncée, être appliquée à l’époque à des attributs fiscaux majorés, mais non encore utilisés).
  6. Affaire Gladwin Realty Corporation c. le Canada, 2020 CAF 142. Dans cette affaire, le tribunal a appliqué le même principe que celui utilisé dans l’affaire Wild pour déterminer si un avantage fiscal avait été obtenu.

    Lorsqu’un compte de dividendes en capital est majoré, aucun avantage fiscal n’est réputé avoir été obtenu (au titre de la RGAÉ) tant qu’un dividende en capital n’est versé à un contribuable capable de bénéficier de la franchise d’impôt accordée à ce dividende (par exemple, un particulier ou société non liée).
  7. Tiré du document du budget fédéral de 2022.
  8. Il a aussi été proposé que la définition fournie au paragraphe 245 [1]) pour le terme « avantage fiscal » (tax benefit) soit modifiée afin d’inclure la phrase : « La réduction, l’augmentation ou la préservation d’un montant qui pourrait ultérieurement être pris en compte pour le calcul d’une réduction, d’un évitement, d’un report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. ». Cette modification sous-entend que les autorités n’auront dorénavant plus besoin d’attendre qu’un attribut fiscal soit utilisé pour le considérer comme un avantage fiscal aux fins de la RGAÉ.
  9. Il a aussi été proposé que la définition fournie au paragraphe 245 (1) pour le terme « attribut fiscal » (tax consequences) soit modifiée par l’ajout de cette phrase : « soit tout autre montant à prendre en compte, ou qui pourrait l’être ultérieurement, pour le calcul d’un montant visé aux alinéas (a) ou (b) ». Les alinéas (a) et (b) incluent le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada, l’impôt ou un autre montant payable par une personne ou qui lui est remboursable sous la présente loi. L’ajout de l’expression « ou qui pourrait ultérieurement l’être » à la définition signifie que même si l’attribut fiscal (comme le capital versé ou le prix de base rajusté) n’a pas encore été utilisé, il pourra désormais être considéré comme tel dans le cadre de la transaction visée.
  10. Des modifications ont également été proposées pour le paragraphe 152 (1.11) — l’ajout par exemple de la proposition « ou qui pourrait ultérieurement l’être » à l’alinéa (a) afin d’élargir la portée des dispositions de l’avis de détermination au paragraphe 152 (1.11) de la Loi et de permettre au ministre de tenir compte de tout montant qui pourrait, à un moment ultérieur, s’avérer pertinent pour le calcul de revenus ou d’impôts exigibles.
  11. La planification de type « Triad Gestco » fait référence à une planification fiscale qui entraîne une augmentation du coût ou du prix de base rajusté d’un bien en déclenchant des gains en capital et en abritant ces gains avec des pertes en capital « fabriquées » ou créées par des moyens non commerciaux.

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