
Cet article est apparu la première fois en décembre 2020 dans Law Practice, le magazine publié par l’American Bar Association (ABA) [www.lawpractice.org]. Il est reproduit ici avec la permission des instances compétentes.
La flexibilité est devenue une qualité essentielle ces temps-ci et nos dirigeants en sont conscients. Mais nombre d’entre eux ont probablement aussi des « œillères » et ne sont pas au courant du fait (ou y sont peu sensibles) que leur clientèle se sent particulièrement angoissée et fragile en ce moment.
Les experts nous disent que :
- La souplesse opérationnelle (business agility) se définit par la capacité à s’adapter rapidement aux changements du marché ― répondre rapidement et avec flexibilité aux demandes des clients, s’adapter au changement et le promouvoir de manière productive et rentable sans compromettre la qualité. Le tout dans le but d’avoir un avantage concurrentiel constant.
- La fragilité se définit, quant à elle, comme un état caractérisé par la faiblesse ou la vulnérabilité.
En raison de la pandémie et des inquiétudes générées par celle-ci sur le plan social, la plupart des personnes auxquelles un dirigeant aura affaire en ce moment seront, à l’interne comme à l’externe, dans un état d’extrême fragilité. Les dirigeants eux-mêmes sont touchés, qu’ils en soient conscients ou non.
Durant l’un de ses récents colloques, mon ami Larry Richard (lawyerbrain.com), qui est avocat en plus de détenir un doctorat en psychologie, a laissé entendre que nous (les avocats) ne sommes pas le groupe le plus résilient de la société. Nous sommes en fait plus attachés à la prévisibilité que la plupart des gens et devenons vulnérables lorsque nous sommes confrontés à des changements ― surtout si ceux-ci surviennent sans prévenir, nous font considérablement perdre nos moyens ou laissent présager des blessures ou des décès. La pandémie et les troubles sociaux sont le portrait craché de ce genre d’évènement.
Les avocats ne sont généralement pas connus (et ils sont nombreux) comme des sentimentaux ― en particulier, peut-être, ceux qui occupent des postes de direction dans ce secteur. Ils ont notamment tendance à être très rationnels et portés sur l’analyse et sont habitués à faire preuve de détachement.
Ainsi, lorsque je demande à des responsables juridiques comment les choses se passent, j’obtiens habituellement une réponse très confiante et positive comme : « Je pense que les choses vont bien. Nous arrivons à très bien gérer ».
Ce n’est pas vrai, même si cela ne veut pas dire qu’ils sont en train de me mentir ; ils sont très vraisemblablement en train de se duper eux-mêmes et peut-être de réprimer leurs sentiments.
Ces dirigeants ne vont en fait pas « bien » s’ils (ou leurs collègues) ne dorment plus aussi bien qu’avant et présentent des symptômes d’anxiété, voire de dépression clinique. Demander à des dirigeants comment ils vont équivaut trop souvent à demander à un daltonien de décrire les couleurs présentées sur un tableau.
Pourquoi c’est essentiel d’être sensible à la fragilité d’autrui
Imaginez un moment que vous avez besoin, en tant que dirigeant, de communiquer à vos associés et aux membres de votre personnel un message (vraisemblablement virtuel) au sujet de la stratégie de l’entreprise. Mais un feu a en même temps été déclenché non loin de votre public. Ce feu est suffisamment près pour que chacun d’entre eux puisse sentir la fumée, mais personne n’est sûr de l’endroit exact de l’incendie ou de sa nature. Néanmoins, vous continuez à livrer votre important message.
Votre public ignorera-t-il immédiatement les inquiétudes suscitées par la fumée et vous accordera-t-il toute son attention ? Les rares personnes qui auront réalisé que la fumée émane vraisemblablement d’un feu contrôlé (donc sûr, propre et légal) déclenché pour l’élimination de certains déchets ne se laisseront probablement pas distraire et seront en mesure de vous suivre.
Mais ceux qui sont très préoccupés par l’incendie, croyant qu’il peut mettre leur vie en danger, n’entendront presque pas un mot de votre discours. Le moment de fragilité qui a inévitablement suivi la découverte de ce « danger » aura fait surgir des instincts de lutte ou de fuite et mis en arrêt leurs aptitudes cognitives habituelles.
La flexibilité
Les événements actuels sont en train de changer rapidement les choses et d’introduire des menaces d’une ampleur que la plupart des gens n’ont jamais connue auparavant, d’où la nécessité pour les dirigeants de faire preuve de flexibilité. Une nécessité impérieuse qui exige un degré sans précédent de sensibilité, d’innovation, d’invention et, je le confirme, d’empathie.
Alors pourquoi les dirigeants des cabinets d’avocats sont-ils en train d’échouer ?
Ils ont souvent trop occupés à poursuivre l’efficience (efficiency), au détriment de son « compagnon de route », l’efficacité (effectiveness). « L’efficience » se définit comme la faculté à bien faire les choses. « L’efficacité » désigne, quant à elle, la volonté de faire les choses qu’il faut. Cela ne sert à rien de savoir bien faire des choses inutiles.
Les dirigeants sont nombreux à ignorer le fait que presque toutes les personnes avec lesquelles ils sont en train d’interagir sont dans un état de fragilité extrême. Il y a de la « fumée » partout en ce moment. Ceux qui deviendront complaisants à ce sujet ne manqueront pas d’être rapidement punis. L’anxiété est de grandir et est même en train de céder la place à la panique dans certains cas.
Pourquoi est-ce important ?
Si un médecin enlève des balles de soldats gravement blessés sur un champ de bataille, mais ignore ensuite les risques de suicide causés par le stress post-traumatique, qu’a-t-il vraiment accompli ?
Pour ce médecin ― ou ce chef de cabinet d’avocats/avocat au service de clients ―, le défi réside dans le fait que la fragilité devient invisible lorsqu’elle se cache derrière le visage courageux de l’abnégation de soi. Ceux qui sont incapables de reconnaître la fragilité omniprésente de cette époque réduiront à presque zéro leur « score » en matière d’efficacité. Les grands leaders ne rechignent pas à se mettre au service de ceux qui sont sous leur responsabilité. Et les associés et le personnel d’une entreprise amélioreront leur performance pour des leaders qui se soucient d’eux et les comprennent. De même, la satisfaction du client augmentera s’il se rend compte que son avocat se soucie de lui et le comprend. La sensibilité du dirigeant à la fragilité ambiante doit donc s’étendre à tout le personnel de son entreprise.
Alors, quel plan d’action peut-on adopter ?
S’assurer de visu que les employés de son cabinet sont en train de faire les heures qu’il faut et de sortir des factures est nécessaire, mais pas suffisant. Les dirigeants qui veulent que leurs associés et leurs employés soient performants doivent adopter une approche plus personnalisée afin de permettre à ces derniers de se sentir appréciés, encadrés, compris et soutenus. Cette attention et ces témoignages d’appréciation doivent aussi être accordés aux familles de ces personnes. Si l’un de vos associés est en train de chercher un emploi de même niveau ailleurs, son conjoint ne l’encouragera pas à rester s’il est d’avis que votre entreprise s’est comportée de manière cavalière et injuste envers cet associé.
Les avocats doivent adopter la même approche s’ils veulent gagner ou garder la confiance de leurs clients. Les dirigeants des cabinets doivent notamment s’assurer que chaque employé est suffisamment conscient de la fragilité des personnes qui sont sous leur supervision et des clients qu’ils sont en train de servir. Et que ces employés possèdent les outils nécessaires pour y faire face.
Et il est désormais impératif d’aller vers la clientèle. Se poser des questions au sujet des réalités objectives auxquelles le client est confronté dans ses activités est, encore une fois, nécessaire, mais plus que jamais insuffisant. Si le client ne se sent pas compris ou apprécié, sa confiance en vos avocats et votre personnel pourrait s’évaporer.
Les questions ouvertes peuvent s’avérer utiles, qu’il s’agisse d’un dirigeant interrogeant des associés et des employés ou d’un avocat interrogeant un client. Quelque chose d’aussi simple que « Comment allez-vous ? », par exemple, mais dit d’une manière indiquant clairement que l’on veut vraiment savoir.
Si la personne à laquelle la question est adressée « s’ouvre » et semble non seulement disposée, mais désireuse de parler de sa situation, enchaînez avec : « Et comment vont les choses ? ». Si c’est convenable, posez des questions personnelles comme « Vivez-vous seul ou avec un conjoint ? » ou « À quelles difficultés est-vous confronté ? », ou même, « Quel est le plus gros avantage de travailler à domicile ? Et quel est le plus gros inconvénient ? ». Tout en réagissant aux réponses, essayez d’en savoir plus avec des questions comme « À quoi cela ressemble-t-il ? » ou « Comment le vivez-vous ? » Et faites preuve d’empathie dans vos réponses : « Cela doit être assez difficile ».
Pourquoi est-ce si important à l’heure actuelle ?
Il faut en tout temps faire preuve de sensibilité et d’attention, dans les bons comme dans les mauvais moments. C’est indubitable. Malheureusement, et même dans les meilleurs moments, la plupart des cabinets d’avocats (et trop d’avocats individuels) se révèlent absolument inefficaces lorsqu’il est question d’exprimer son appréciation ou de faire preuve d’attention et de sensibilité. Lorsque les choses vont bien, ces cabinets peuvent s’en tirer, mais pas dans les périodes de crise universelle comme celle que nous traversons actuellement.
Je reconnais que nombre de cabinets et d’avocats individuels sont des exemples lorsqu’il s’agit de faire preuve d’empathie et d’attention. Et cette approche n’est pas sans générer des avantages concurrentiels pour eux. Mais leurs clients ne les considèrent pas moins comme des exceptions à ces stéréotypes négatifs que tant d’étrangers au métier aiment utiliser lorsqu’ils font des plaisanteries sur les avocats.
Les entreprises qui ne sont pas de si bons exemples dans le domaine devront s’adaptent rapidement, car les circonstances actuelles le leur feront payer cher. Sans un leadership robuste et un plan d’action rapide, ces entreprises verront diminuer les demandes ainsi que les profits et perdront certains de leurs meilleurs talents. Certaines de ces entreprises cesseront même d’exister ; les facteurs qui ont aidé jusqu’ici à retenir la clientèle s’évaporeront rapidement au fur et à mesure que les clients seront courtisés par des concurrents qui seront mieux capables (à leurs yeux) de comprendre leurs besoins particuliers, y compris sur le plan émotionnel.
Résumé
Le devoir des dirigeants : faire preuve de souplesse lorsque l’on est confronté à de la fragilité
La situation actuelle est en train de rendre encore plus importants les devoirs des dirigeants. Les bons leaders démontrent de l’intérêt pour leurs associés et leurs employés (leurs familles incluses) et ne manquent pas de leur exprimer leur appréciation. Ils enseignent aussi à tous les employés à faire de même envers leurs subordonnés et leurs clients. Et ils n’oublient pas de penser à ces personnes et d’entrer en contact avec eux : recommandataires, anciens clients, clients potentiels, professionnels (cabinets comptables, etc.) et autres personnes pouvant s’avérer utiles au cabinet.
Pas de place pour la neutralité (en d’autres termes, il faut s’impliquer !)
Si je vous pose des questions au sujet d’une marque que vous connaissez bien, il y a de fortes chances que vous répondiez de manière positive ou négative. La plupart des gens ont des préférences, lorsqu’il est question de marques. Votre entreprise est une marque. À l’une des extrémités de la courbe, vous trouverez vraisemblablement des clients extrêmement fidèles. À l’autre bout, vous trouverez des clients qui vous laisseraient pour un concurrent plus attrayant si la transition pouvait être moins compliquée. Dans les enquêtes que j’ai effectuées à travers le temps, très peu de clients, voire aucun, ont dit : « Je n’ai pas d’opinion à ce sujet. Je suis neutre. Je n’aime ni ne déteste mon cabinet d’avocats. »
Si vous ne vous occupez pas de la fragilité de vos clients à l’heure qu’il est, ce n’est pas le statu quo qui vous attend, mais une position de plus en plus vulnérable.
Votre silence ou votre indifférence, et c’est ça le plus triste, seront aussi très mal vus. Ceux que vous êtes en train de délaisser ne sauront même pas pourquoi ils ont développé de l’antipathie envers vous (et vous non plus). Après tout, c’est toujours « vous », n’est-ce pas ? La personne pour qui tout allait si bien. Que s’est-il donc passé ?
Dirigeants, la réponse est simple : agissez maintenant. L’avenir de votre entreprise en dépend.
Mon offre personnelle
Un appel Zoom gratuit pour discuter de la situation particulière de votre entreprise. Je vous aiderai à mettre sur pied un plan personnalisé pour faire face à la fragilité à laquelle je vous ai maintenant (espérons-le) rendu sensible.
En passant…
En réfléchissant au contenu cet article, vous aimeriez probablement écouter Fragile de Sting et de Stevie Wonder.
Gerry Riskin a pour métier d’aider les dirigeants des cabinets d’avocats à faire évoluer, au moyen de conseils, la structure et la gestion de leurs cabinets et à mieux comprendre les stratégies employées par la concurrence. Il a été au service de centaines de cabinets d’avocats à travers le monde, de petits bureaux à des entreprises de très grande envergure. Il a aussi travaillé avec certains des plus grands cabinets d’avocats au monde.