Lawyers Alert (words)

Innovation frugale et formation des avocats

5 mai 2021

Il y a plus de dix ans, dans un article en ligne qui n’a marqué l’imaginaire de presque personne, j’ai parlé sur la nécessité d’adopter le concept de « l’innovation frugale » dans le secteur des services juridiques. J’avais-je expliqué que le problème principal auquel est confronté le marché juridique est l’insistance des avocats à offrir des services toujours plus sophistiqués à un nombre toujours plus restreint de personnes, à des prix toujours plus élevés, laissant de côté une population grandissante confrontée à des besoins juridiques simples et dénuée de temps ou d’argent pour y remédier. Les innovateurs « frugaux » du secteur juridique, avais-je écrit :

… sauront tenir compte des ressources limitées à la disposition de la plupart des gens et modifieront leurs produits, services et systèmes de livraison en conséquence. Ils simplifieront sans cesse leurs produits juridiques et les dépouilleront de tout superflu, se demandant constamment : peut-on rendre les choses plus faciles ? Y a-t-il des étapes que nous pourrions supprimer et des fonctionnalités dont nous pourrions nous passer ? Et y a-t-il des éléments qui sont en train de faire grossir les coûts sans rien apporter de plus ?

Dix ans plus tard, j’attends toujours que la profession juridique reconnaisse et saisisse cette occasion, même si je me sens encouragé par le succès d’innovations centrées sur le consommateur comme UpSolve et Hello Divorce.

Le but de cet article est d’appliquer le même raisonnement au processus de formation des avocats. À quoi ressembleraient une formation juridique et une préparation au barreau basées sur la frugalité ? Et si nous n’avions que très peu de temps et d’argent pour former de nouveaux avocats et leur octroyer le droit d’exercer ? Et comment le ferions-nous ?

Commençons par identifier le problème auquel nous sommes confrontés. Quels que soient les mérites ou les inconvénients des programmes utilisés actuellement en Amérique du Nord pour former des avocats, il y a certainement deux choses que nous pouvons dire à leur sujet :

  1. C’est trop long

Presque personne n’est d’avis que trois années complètes de faculté de droit sont nécessaires au pourvoi des connaissances de base requises pour l’obtention d’un permis d’exercice. La plupart des territoires de compétence canadiens exigent que le postulant fasse un stage supplémentaire d’un an avant d’être admis au barreau, mais il s’agit également ici d’un chiffre arbitraire. L’année dernière, les autorités compétentes ont notamment jugé acceptable le raccourcissement des stages dans le cadre de la pandémie. Et une voie de rechange ne durant que huit mois a même été adoptée dans l’une des provinces.

Soyons clairs : je suis certainement d’avis que les avocats en devenir ont besoin d’une préparation bien meilleure et plus détaillée que celle que nous leur proposons, mais nous ne sommes pas moins en train d’utiliser le temps alloué à cette fin de la mauvaise façon. Nul ne sait combien de temps il faut vraiment pour former pleinement un avocat parce qu’aucun système de formation unifié et complet n’a jamais été délibérément mis sur pied dans ce domaine.

  1. C’est trop cher

L’avocat américain moyen commence sa carrière avec une dette de 145 000 $ sur les épaules. Pour l’avocat canadien moyen, ce chiffre est de 71 000 $ au minimum. Et n’oublions pas les droits du permis d’exercice. Mais la majeure partie des frais de formation ne provient en fait pas d’éléments strictement liés au développement professionnel de l’inscrit, mais des modèles commerciaux établis par les institutions qui ont pour mission de superviser et d’administrer le processus de formation et la fourniture du permis d’exercice. On n’a pas besoin de laboratoires, de produits chimiques ou d’ateliers d’usinage pour former un avocat, mais vous ne le sauriez pas au vu de la facture.

La plupart des gens doivent avoir de grosses ressources socio-économiques à portée de main pour pouvoir même envisager une carrière juridique et consacrer des années à sa poursuite. Si vous n’avez pas de fortune personnelle, ces lourdes dettes vous pousseront à choisir des cabinets qui vous payeront certes mieux, mais qui vous soumettront aussi à des pressions considérables sur le plan de la facturation. Vous pourriez même être forcé à accepter des cas se trouvant en dehors de votre domaine de compétence, pour votre détriment, comme pour celui de vos clients. Les obstacles disséminés tout au long du sentier menant au permis d’exercice ont, de plus, rendu la profession juridique majoritairement blanche, et de manière disproportionnée.

Et j’ai à peine besoin d’ajouter que les services juridiques fournis par le système décrit ci-dessus ne seront pas abordables.

Que pourrions-nous faire pour remédier à tous ces problèmes ? L’une des solutions serait de « frugaliser » le système de développement des avocats. Imposer par exemple des limites strictes au temps et au budget alloué au processus de formation. Ou garder les mêmes seuils d’admissibilité à la profession (ou, idéalement, les élever) tout en réduisant radicalement le temps et les coûts requis.

Supposons que quelqu’un souhaite devenir avocat et qu’il n’a, disons, que 18 mois et 18 000 $ pour y arriver. Sous le système actuel, c’est tout simplement impossible. Imaginons de ce fait un système dans lequel cela pourrait se faire. Voici quelques idées :

  • Mettre la faculté de droit en ligne, point final. En d’autres termes, extraire du processus de formation les coûts liés à la fréquentation physique de l’institution : frais généraux facturés par l’établissement, logement, repas et frais de déplacement. Et enlevons aussi le temps gaspillé à se plier au calendrier d’enseignement de l’école (réparti en semestres) et au système de formation promulgué avec insistance par celui-ci : la transmission des connaissances au moyen d’un système pyramidal (une personne à plusieurs) ancré sur la proximité. Le résultat final : un diplôme de droit en ligne plus rapide à obtenir et radicalement moins cher que la version actuelle, et que l’on peut poursuivre à son propre rythme (un concept révélé viable par la pandémie).
     
  • Autre solution : des cours autonomes mis en vente par des professeurs de droit et des avocats en exercice et approuvés par les autorités réglementaires. Fournis en ligne, offerts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, épaulés par des contrôles intégrés pour la vérification des connaissances et reposant sur un noyau de matières obligatoires en plus de nombreuses autres matières. Les inscrits pourront ainsi se forger leur propre diplôme de droit admissible ― de plus d’un fournisseur, à leur propre rythme, et auprès d’experts choisis dans leurs domaines de prédilection. Arrêtons de penser à la faculté de droit comme « un endroit où l’on se rend » et commençons à y penser comme « une expérience propice au développement ».
     
  • Sous le système actuel, les étudiants sont forcés de passer trois ans dans une salle de classe avant d’avoir le moindre aperçu de la vie des avocats. Les parties théorique et expérientielle de la formation pourraient, au lieu de cela, être administrées simultanément et non consécutivement afin d’économiser du temps et d’améliorer l’apprentissage. Les cours en ligne décrits ci-dessus pourraient être entrecoupés de modules de formation asynchrones axés sur l’acquisition de nouvelles compétences et de simulations pour chacune des matières concernées (voici un exemple exceptionnel). Ou on pourrait combiner cette idée avec la suivante :
     
  • Pendant ou après l’achèvement de ce « tiercé » en ligne, nous trouverions aussi des moyens pour les aspirants d’acquérir rapidement, et à prix raisonnable, de l’expérience sur le terrain. Les organismes de réglementation pourraient par exemple exiger que les avocats en exercice offrent des stages non rémunérés de quatre mois à des étudiants en droit dûment inscrits, au risque de perdre le droit d’exercer. Ou ces organismes pourraient assurer la coordination d’initiatives similaires auprès d’organismes d’aide juridique ou d’intérêt public dans les villes d’origine de ces étudiants ou, le cas échéant, dans les villes les plus proches. L’objectif est d’aider les étudiants à apprendre le droit tout en le « vivant ».
     
  • Une formation purement en ligne serait cependant dans l’incapacité de fournir l’élément social nécessaire au développement d’un avocat — cet élément qui permettrait notamment aux praticiens en herbe de forger des amitiés et de faire du réseautage en apprenant et en travaillant ensemble. Ces choses ont une vraie valeur, d’où la nécessité au processus de développement frugal décrit ci-dessus d’exiger et de faciliter des rencontres personnelles et régulières entre les étudiants dans des cadres plus élargis (une fois que la pandémie le permettra). Ajoutons à cela des rencontres virtuelles sur Zoom (pour des étudiants plus dispersés) et des initiatives encore meilleures qui ne demandent qu’à être inventées. La formation juridique à distance a une longue histoire.

Il ne s’agit là que d’un très léger aperçu de la forme qu’un système de développement frugal pourrait prendre dans le monde de la formation juridique. Un survol qui comporte de toute évidence des lacunes et des failles. Mais si certaines de ces carences peuvent être palliées, d’autres n’auront pas besoin de l’être. Comme je l’ai souligné en 2010, la frugalité ne consiste pas à faire les choses que l’on faisait auparavant à moins cher. Il s’agit plutôt de repenser les choses que l’on souhaite accomplir et de reconcevoir les moyens que l’on emploiera pour atteindre ces objectifs.

Le consensus est en train de grandir autour du fait que le processus d’octroi du permis d’exercice devrait être radicalement repensé. Quels éléments sont par exemple en train de faire grossir les coûts sans rien ajouter de plus ? Des amphithéâtres caverneux nichés dans des bâtiments en calcaire ? Des titres de compétence valorisés par un blason ou une équipe de football ? Des rituels de bizutage bizarres déguisés en examens d’entrée ? Une liste qui peut devenir très longue liste, même si vous basez uniquement sur vos propres expériences sur la voie de l’accréditation. Mais si la profession entreprend collectivement cet effort, le processus d’admission au barreau pourrait être témoin d’avancées extraordinaires, dans la théorie comme dans la pratique.

La pandémie a déjà démontré que nous pouvons éduquer, former et agréger des avocats de manière différente. C’est une occasion en or de convertir cette expérience temporaire en une expérience permanente et certainement meilleure.

Jordan Furlong est un conférencier, un auteur et un analyste des marchés dans le secteur juridique. Il s’est donné pour mission de prévoir l’impact des changements ayant lieu dans le marché sur les avocats et les cabinets d’avocats. Il a fait des dizaines d’exposés aux États-Unis, au Canada, en Europe et en Australie pour des cabinets d’avocats, des barreaux d’État, des cours de justice et des associations juridiques. Il est aussi l’auteur de Law is a Buyer’s Market : Building à Client-First Law Firm (« La loi est un marché d’acheteurs : création d’un cabinet d’avocats axé en premier sur le client »). M. Furlong écrit régulièrement des articles sur l’évolution du marché juridique sur son site Web (law21.ca). Frugal innovation in lawyer formation (« Innovation frugale et formation des avocats ») est apparu le 26 février 2021 dans son blogue.

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