
Les progrès technologiques et l’IA (ou intelligence artificielle) sont en train d’affecter de plus en plus le monde des affaires et le monde juridique et de revendiquer la place des humains dans des tâches strictement réservées jusqu’ici à ces derniers. Des jeux vidéo aux analyses juridiques complexes, l’IA est en train de s’insérer de plus en plus rapidement dans notre quotidien.
En 1997, Big Blue, le superordinateur d’IBM, battait pour la première fois le champion d’échecs russe Garry Kasparov. Plus récemment, un logiciel d’IA conçu par Alphabet Inc. a battu le champion européen de Go, un jeu complexe caractérisé par un nombre quasi illimité de mouvements et considéré comme l’un des rares domaines à pouvoir résister à l’incursion de l’IA. Les systèmes informatisés qui s’étaient auparavant essayés à ce jeu s’étaient tout simplement sentis dépassés par le nombre incalculable de ses possibilités de jeu, que l’esprit humain semble mieux capable d’aborder et de filtrer. Mais les choses ont changé.
Dans le numéro de Lawyers Alert publié en octobre 2015, la chronique Tech Central avait présenté quelques-uns des tout premiers emplois de l’IA dans le monde juridique. Legalswipe est une application mobile gratuite qui offre des conseils juridiques instantanés aux utilisateurs pris dans des altercations avec la police. L’application a pour but de renseigner ces utilisateurs sur leurs droits et de les aider à comprendre les processus en cours lors d’un interrogatoire de police, d’une détention ou d’une arrestation. Les utilisateurs n’ont qu’à taper et à faire glisser leur écran pour naviguer à travers l’interface intuitive de l’application et recevoir des conseils en temps réel basés sur la législation canadienne et américaine ainsi que des réponses recommandées par des avocats. Cette technologie a ainsi pour but de procurer un encadrement juridique à la personne arrêtée jusqu’à ce qu’elle rencontre son avocat et non de remplacer l’avocat lui-même.
Beagle, un autre chef de file du domaine, offrait un service encore plus proche de ceux que nous connaissons aujourd’hui. Beagle est un logiciel en ligne qui utilise l’intelligence artificielle pour passer en revue des contrats juridiques et identifier les clauses dignes d’intérêt ou les clauses problématiques. La société affirme que son logiciel fait gagner du temps aux avocats appelés à examiner des petits caractères en grand nombre et accroît la précision de telles opérations.
D’un autre côté, Un nouveau système d’IA a réussi pour la première fois à tenir tête à, et même à surpasser, certains des juristes les plus éminents lors d’une étude visant à mesurer l’habileté et la vitesse dans la lecture et de l’interprétation de contrats. La plateforme d’IA concernée a été développée par LawGeex aux États-Unis et est une solution de révision de contrat automatisée. Selon les auteurs de l’étude, elle a été conçue pour exceller dans « l’examen et l’approbation de contrats d’affaires standards volumineux à fable valeur » (voir l’étude ici).
Dans ce test effectué récemment, LawGeex était opposée à vingt des plus grands avocats de sociétés des États-Unis. Le défi avait trait à la lecture et l’interprétation de plusieurs ententes de confidentialité complexes. L’IA a complété chaque opération en 26 secondes en moyenne, alors que les avocats ont pris 92 minutes en moyenne. Fait peut-être plus surprenant, l’IA a démontré un taux de précision de 94 % par rapport aux paramètres établis par l’étude. Les avocats, quant à eux, ont démontré un taux de précision de 85 % en moyenne et certains d’entre eux sont même descendus jusqu’à 67 %. Le test s’est déroulé dans un environnement contrôlé, donc très différent de celui que l’on rencontre dans un cabinet d’avocat mouvementé. En d’autres termes, l’IA a été capable d’accomplir cette tâche juridique typique plus efficacement et plus rapidement que les meilleurs avocats.
Alors qu’est-ce que cela implique dans le grand ordre des choses pour les avocats ? Devons-nous tout simplement baisser les bras et laisser l’IA nous remplacer ? Le métier d’avocat est-il le prochain à disparaître au profit de l’automatisation ? Pas du tout ! Nous avons en fait pris pour habitude dans Lawyers Alert d’encourager les avocats à s’adapter et à adopter volontairement les nouvelles technologies afin d’améliorer la qualité de leur service. L’incursion toute nouvelle de l’IA dans le domaine de l’interprétation des contrats peut en conséquence être considérée comme une opportunité et non comme le défi d’un concurrent.
L’avantage réel offert par l’IA dans ce domaine ne consiste pas en la possibilité que les clients pourront un jour introduire leurs contrats dans une sorte de guichet automatique au coin de la rue et recevoir des conseils juridiques complets en l’espace de quelques secondes. L’IA peut plutôt être utilisée pour gérer les aspects plus répétitifs et les plus prenants de l’interprétation des contrats et pour identifier les passages les plus préoccupants ou les lacunes afin de permettre à l’avocat de fournir des conseils plus contextuels et de passer plus de temps à la réécriture ou à la négociation — des choses qui ont vraiment plus de rapport avec leur expérience personnelle et à la formation qu’ils ont reçue. L’étude de LawGeex fait elle-même ressortir que seulement environ 22 % du travail de l’avocat et 35 % du travail du parajuriste peuvent être automatisés. Les tâches restantes (la majorité) ne peuvent passer de la formation, l’éducation et l’instinct de l’avocat chevronné.
L’avocat n’est plus obligé de passer des heures à lire des douzaines ou des centaines (voire des milliers !) de pages remplies de textes juridiques opaques et peut utiliser ce temps précieux à offrir des services plus adaptés aux besoins de ses clients. En retour, le client sera rassuré de savoir que son argent n’a pas été dépensé dans des tâches fastidieuses (facturées en l’occurrence à des taux extrêmement élevés) et recevra un meilleur service global.
Le truc est d’agir de façon décisive afin de mettre en pratique de nouvelles stratégies. Les étudiants et les jeunes avocats doivent tout spécialement se familiariser avec ces nouvelles technologies, car c’est vraisemblablement eux qui seront les plus touchés dans les années et les décennies à venir.
La vérité est que l’on ne peut arrêter le progrès technologique. Les avocats ont le choix : l’ignorer à leur propre péril, ou l’adopter à bras ouverts afin d’obtenir une longueur d’avance sur leurs concurrents et d’améliorer la qualité de leur service.